23 Avr 2016
Des groupes d'opposants très décidés ont bouleversé l'ouverture de la conférence annuelle des foreurs en eau profonde, une spectaculaire action non violente dans le prolongement des mobilisations de la COP21.
C'est le genre de rencontre qui prospère volontiers dans l'anonymat : le Marine, construction and engineering deepwater development (MCEDD), sommet des professionnels de la prospection pétrolière et gazière en eaux profondes, se tient habituellement à l'abri des regards, dans la discrétion de salles de conférences luxueuses. Cette année, c'est raté. L'édition 2005 s'était tenue à Pau, « une des plus mémorables de tous les événements industriels », s'enflamme le site du MCEDD. L'édition 2016, de retour en Béarn du 5 au 7 avril, lui a volé la vedette mais sur un registre bien différent.
Dès 8h45, ce mardi 5 avril, une quarantaine de militants résolus et bien organisés escaladent, sous les gouttes de pluie, les barrières de sécurité qui encerclent le Palais Beaumont pour s'asseoir en rangs compacts devant l'entrée principale. Certains s'enchaînent aux rampes. Les quelques gendarmes mobiles, débordés, sont impuissants à les repousser.
Une heure plus tard, une colonne forte d'une centaine de militants débouche à revers par le parc Beaumont, rejoint le premier contingent et perce le rang de hautes grilles qui protège le Palais. Gaz au poivre, coups de matraque, arrestations, le face-à-face est musclé. Entretemps, trois faux cadres sont parvenus à pénétrer dans la salle de conférence où les travaux des professionnels de l'off-shore ont démarré avec trois quarts d'heure de retard, se menottent aux tables et s'expliquent devant des participants interloqués : par quelle irresponsabilité, dans la suite de la COP21, est-il possible de tenir un tel colloque uniquement préoccupé par l'amélioration du rendement des forages en eau profonde ? Quelques-uns applaudissent — « sincèrement », témoigne Guillaume Durin, l'un des déguisés.
Interrogés, quelques congressistes bloqués à l'entrée détournent la tête, gênés. « J'ai le droit de ne pas vous répondre… » Un représentant en robinetterie pétrolière se désole un peu du retard que va prendre l'installation de son exhibition. Le sommet de Paris sur le climat a-t-il influé sur la politique de vos clients ? Perçoit-on des signes de désengagement ? « Je ne peux ni ne souhaite vous le dire… » Olivier Peyret accepte le dialogue. Il travaille chez le spécialiste du forage Schlumberger. La préoccupation climatique gêne-t-elle son entreprise ? « On essaye de prendre ça en compte, mais vous savez, les besoins en énergie sont énormes. Et puis veut-on remplacer l'avion par le téléphone ? »
La police, bien qu'abondamment prévenue de l'imminence d'une action, semble avoir été leurrée par les organisateurs, qui annonçaient le premier mouvement à mi-journée. Les quelque 300 militants qui occupent les pelouses et le parvis ne parviendront pas à bloquer la rencontre — des issues secondaires ont été utilisées pour faire entrer les participants —, mais ils camperont très bruyamment pendant toute la journée sous les verrières du Palais Beaumont. « Climatique état d'urgence ! Pétrole partout, avenir nulle part ! Police, les criminels sont à l'intérieur, nous nous battons pour vos enfants aussi ! » « On reste ici jusqu'à jeudi », lance un animateur au mégaphone.
Plusieurs actions sont prévues d'ici là. Cinq élèves du lycée Louis Barthou voisin ont rusé avec les barrages pour se glisser dans la foule des contestataires. « Il y a plus de flics pour protéger les pétroliers que lors de la dernière manif' contre la loi travail à Pau ! », s'étonne Cajou, qui promet, avec Amélie, Sixtine, Enzo et Emma, de coller des affiches de retour en cours. « On va rameuter pour demain ! »
Cette invasion spectaculaire est la première grande mobilisation citoyenne depuis la COP21 de décembre dernier. À l'origine, un front composé de neuf organisations — Alternatiba, Attac, Amis de la terre, ANV-COP21, Emmaüs Lescar-Pau, Bizi, Surfrider foundation Europe, 350.org et The Ocean nation —, qui sont parvenus à monter l'opération en une quarantaine de jours à peine. Pour les besoins, plus de 600 militants ont rejoint un « camp climat » installé depuis samedi 2 avril sur le site de la communauté Emmaüs de Lescar-Pau, dont une soixantaine, à l'avant-garde des groupes d'invasion, s'étaient déclarés prêts à subir une amende, une garde à vue voire une incarcération. « Depuis la COP21, on voit croître le nombre des militants qui affichent une motivation décuplée, constate Nicolas Haeringer, coordonnateur d'un mouvement international 350.org en France. Nous avons montré à Pau que nous étions prêts — toujours de manière non-violente —, à percer les barrages que dressent les fossoyeurs de climat. »
Par Patrick Piro
Lire sur politis.fr (5/04/2016)
C'est le genre de rencontre qui prospère volontiers dans l'anonymat : le Marine, construction and engineering deepwater development (MCEDD), sommet des professionnels de la prospection pétrolière et gazière en eaux profondes, se tient habituellement à l'abri des regards, dans la discrétion de salles de conférences luxueuses. Cette année, c'est raté. L'édition 2005 s'était tenue à Pau, « une des plus mémorables de tous les événements industriels », s'enflamme le site du MCEDD. L'édition 2016, de retour en Béarn du 5 au 7 avril, lui a volé la vedette mais sur un registre bien différent.
Dès 8h45, ce mardi 5 avril, une quarantaine de militants résolus et bien organisés escaladent, sous les gouttes de pluie, les barrières de sécurité qui encerclent le Palais Beaumont pour s'asseoir en rangs compacts devant l'entrée principale. Certains s'enchaînent aux rampes. Les quelques gendarmes mobiles, débordés, sont impuissants à les repousser.
Une heure plus tard, une colonne forte d'une centaine de militants débouche à revers par le parc Beaumont, rejoint le premier contingent et perce le rang de hautes grilles qui protège le Palais. Gaz au poivre, coups de matraque, arrestations, le face-à-face est musclé. Entretemps, trois faux cadres sont parvenus à pénétrer dans la salle de conférence où les travaux des professionnels de l'off-shore ont démarré avec trois quarts d'heure de retard, se menottent aux tables et s'expliquent devant des participants interloqués : par quelle irresponsabilité, dans la suite de la COP21, est-il possible de tenir un tel colloque uniquement préoccupé par l'amélioration du rendement des forages en eau profonde ? Quelques-uns applaudissent — « sincèrement », témoigne Guillaume Durin, l'un des déguisés.
Interrogés, quelques congressistes bloqués à l'entrée détournent la tête, gênés. « J'ai le droit de ne pas vous répondre… » Un représentant en robinetterie pétrolière se désole un peu du retard que va prendre l'installation de son exhibition. Le sommet de Paris sur le climat a-t-il influé sur la politique de vos clients ? Perçoit-on des signes de désengagement ? « Je ne peux ni ne souhaite vous le dire… » Olivier Peyret accepte le dialogue. Il travaille chez le spécialiste du forage Schlumberger. La préoccupation climatique gêne-t-elle son entreprise ? « On essaye de prendre ça en compte, mais vous savez, les besoins en énergie sont énormes. Et puis veut-on remplacer l'avion par le téléphone ? »
La police, bien qu'abondamment prévenue de l'imminence d'une action, semble avoir été leurrée par les organisateurs, qui annonçaient le premier mouvement à mi-journée. Les quelque 300 militants qui occupent les pelouses et le parvis ne parviendront pas à bloquer la rencontre — des issues secondaires ont été utilisées pour faire entrer les participants —, mais ils camperont très bruyamment pendant toute la journée sous les verrières du Palais Beaumont. « Climatique état d'urgence ! Pétrole partout, avenir nulle part ! Police, les criminels sont à l'intérieur, nous nous battons pour vos enfants aussi ! » « On reste ici jusqu'à jeudi », lance un animateur au mégaphone.
Plusieurs actions sont prévues d'ici là. Cinq élèves du lycée Louis Barthou voisin ont rusé avec les barrages pour se glisser dans la foule des contestataires. « Il y a plus de flics pour protéger les pétroliers que lors de la dernière manif' contre la loi travail à Pau ! », s'étonne Cajou, qui promet, avec Amélie, Sixtine, Enzo et Emma, de coller des affiches de retour en cours. « On va rameuter pour demain ! »
Cette invasion spectaculaire est la première grande mobilisation citoyenne depuis la COP21 de décembre dernier. À l'origine, un front composé de neuf organisations — Alternatiba, Attac, Amis de la terre, ANV-COP21, Emmaüs Lescar-Pau, Bizi, Surfrider foundation Europe, 350.org et The Ocean nation —, qui sont parvenus à monter l'opération en une quarantaine de jours à peine. Pour les besoins, plus de 600 militants ont rejoint un « camp climat » installé depuis samedi 2 avril sur le site de la communauté Emmaüs de Lescar-Pau, dont une soixantaine, à l'avant-garde des groupes d'invasion, s'étaient déclarés prêts à subir une amende, une garde à vue voire une incarcération. « Depuis la COP21, on voit croître le nombre des militants qui affichent une motivation décuplée, constate Nicolas Haeringer, coordonnateur d'un mouvement international 350.org en France. Nous avons montré à Pau que nous étions prêts — toujours de manière non-violente —, à percer les barrages que dressent les fossoyeurs de climat. »
Par Patrick Piro
Lire sur politis.fr (5/04/2016)