29 Sept 2020
2700 milliards de dollars de remboursement de dette publique en 2020 et 2021. C’est le mur auquel font face les pays du Sud, alors même que les retombées économiques négatives de la crise du Covid-19 sont critiques. 121 millions de personnes supplémentaires pourraient être exposées à la famine, et près d’un demi-milliard pourrait tomber dans la pauvreté. Le service de la dette empêche les Etats de consacrer leur budget à des investissements essentiels dans la santé, la protection sociale ou encore l’agriculture. Pour certains pays africains, la part de leur budget destinée au remboursement de la dette dépasse les 40%.
Le Covid-19 n’est pas seul responsable ; une mauvaise gestion économique nationale non plus. Admis prématurément sur des marchés sous-réglementés avec des prêts privés à des taux d'intérêt élevés, héritiers de dettes coloniales, les pays du Sud sont les perdants d’une mauvaise gestion au niveau mondial.
Le report de certaines dettes : une mesure largement insuffisante
Le "Club de Paris", qui réunit les plus importants Etats créanciers dont la Belgique, a certes décidé en avril dernier d’un moratoire sur certains paiements dus en 2020, mais c’est une mesure largement insuffisante. Pourquoi ? Tout d’abord, elle ne concerne selon les dernières estimations officielles disponibles que 1,68% des remboursements dus en 2020 par l’ensemble des pays en développement. Ensuite, le moratoire ne constitue qu’un report des paiements et non une annulation, ainsi qu’une majoration des intérêts, ce qui ne fait que déplacer et aggraver le problème. Le président de la Banque mondiale lui-même, juge ce moratoire insuffisant et appelle à des annulations de dettes – bien qu’il arrête ses recommandations à sa porte et exclut son institution des créditeurs qui devraient la concéder. En effet, les créanciers multilatéraux (notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, FMI) refusent de participer substantiellement au moratoire, et les créanciers privés ne sont que timidement invités à y participer sur base volontaire. Et enfin, conséquence pernicieuse, le fait pour un pays de demander un report de dettes dans ce cadre lui fait risquer une dégradation de sa note souveraine par des agences de notation telles Moody’s, qui a d’ailleurs déjà placé sous surveillance cinq Etats ayant sollicité le moratoire.
Quel rôle peut jouer la Belgique ? Avant toute chose, assumer que la Belgique n’est pas un acteur insignifiant. Bien au contraire, puisqu’elle siège non seulement au Club de Paris, mais également au conseil d’administration du FMI et à la Banque mondiale, des institutions au cœur du débat et de la prise de décision internationale sur ces questions. La Belgique tient donc une place stratégique pour être une force de proposition positive.
Privilégier les vraies solutions
Les solutions existent, ce qui manque c’est la volonté politique.
Pour que les pays débiteurs ne soient pas contraints de privilégier les remboursements de dettes sur leurs dépenses de réponses à la pandémie, il faut avant toute chose parler d’annulations de dette et non plus de reports. Ensuite, il faut que le moratoire soit étendu aux créanciers multilatéraux. Le FMI et la Banque mondiale convoquent leur réunion annuelle du 12 au 18 octobre prochain, sous une forme virtuelle cette fois-ci, coronavirus oblige. La Belgique a donc l’opportunité d’y plaider énergiquement pour des annulations significatives de dettes envers ces créanciers. La Chine doit également être concernée, en tant que nouvelle actrice clé : sans être membre du Club de Paris, elle est créditrice de 20% de la dette totale des pays africains. Les créanciers privés doivent enfin impérativement être inclus eux aussi. A défaut, les efforts des contribuables des pays du Nord en matière d’allègement de dette seront simplement absorbés par les profits de ces créanciers, au lieu d’être utilisés pour prévenir et soigner le virus et minimiser l’impact social et économique. L’objectif doit donc être un consensus large entre pays du G20 et du Club de Paris, la Chine et les créanciers privés.
L’absence de consensus international ne doit toutefois pas servir d’excuse pour ne pas agir. En plus d’agir au sein des enceintes internationales, la Belgique peut et doit prendre des mesures urgentes sur ses propres créances en annulant la part illégitime, illégale, odieuse et insoutenable. C’est ce que demandent une vingtaine d’acteurs de la société civile belge regroupant à la fois des ONG humanitaires et de développement et des syndicats. Cette demande de la société civile ne représente ni une faveur, ni un chèque en blanc faits aux pays débiteurs. La société civile africaine est active pour exiger une redevabilité de ses responsables politiques afin que les fonds libérés soient effectivement assignés à la réponse à la crise du Covid-19.
Les solutions existent donc et le gouvernement belge, qu’il soit nouveau ou en affaires courantes, doit avoir la volonté politique d’y contribuer. Pour financer plus durablement le développement des pays du Sud, il faut impérativement rompre avec le modèle actuel basé sur l’endettement.
Par Anaïs Carton, Robin Delobel, Aranud Zacharie, Aurore Guieu et Renaud Vivien (publié le 25/09/2020)
A lire sur le site La Libre
Le Covid-19 n’est pas seul responsable ; une mauvaise gestion économique nationale non plus. Admis prématurément sur des marchés sous-réglementés avec des prêts privés à des taux d'intérêt élevés, héritiers de dettes coloniales, les pays du Sud sont les perdants d’une mauvaise gestion au niveau mondial.
Le report de certaines dettes : une mesure largement insuffisante
Le "Club de Paris", qui réunit les plus importants Etats créanciers dont la Belgique, a certes décidé en avril dernier d’un moratoire sur certains paiements dus en 2020, mais c’est une mesure largement insuffisante. Pourquoi ? Tout d’abord, elle ne concerne selon les dernières estimations officielles disponibles que 1,68% des remboursements dus en 2020 par l’ensemble des pays en développement. Ensuite, le moratoire ne constitue qu’un report des paiements et non une annulation, ainsi qu’une majoration des intérêts, ce qui ne fait que déplacer et aggraver le problème. Le président de la Banque mondiale lui-même, juge ce moratoire insuffisant et appelle à des annulations de dettes – bien qu’il arrête ses recommandations à sa porte et exclut son institution des créditeurs qui devraient la concéder. En effet, les créanciers multilatéraux (notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, FMI) refusent de participer substantiellement au moratoire, et les créanciers privés ne sont que timidement invités à y participer sur base volontaire. Et enfin, conséquence pernicieuse, le fait pour un pays de demander un report de dettes dans ce cadre lui fait risquer une dégradation de sa note souveraine par des agences de notation telles Moody’s, qui a d’ailleurs déjà placé sous surveillance cinq Etats ayant sollicité le moratoire.
Quel rôle peut jouer la Belgique ? Avant toute chose, assumer que la Belgique n’est pas un acteur insignifiant. Bien au contraire, puisqu’elle siège non seulement au Club de Paris, mais également au conseil d’administration du FMI et à la Banque mondiale, des institutions au cœur du débat et de la prise de décision internationale sur ces questions. La Belgique tient donc une place stratégique pour être une force de proposition positive.
Privilégier les vraies solutions
Les solutions existent, ce qui manque c’est la volonté politique.
Pour que les pays débiteurs ne soient pas contraints de privilégier les remboursements de dettes sur leurs dépenses de réponses à la pandémie, il faut avant toute chose parler d’annulations de dette et non plus de reports. Ensuite, il faut que le moratoire soit étendu aux créanciers multilatéraux. Le FMI et la Banque mondiale convoquent leur réunion annuelle du 12 au 18 octobre prochain, sous une forme virtuelle cette fois-ci, coronavirus oblige. La Belgique a donc l’opportunité d’y plaider énergiquement pour des annulations significatives de dettes envers ces créanciers. La Chine doit également être concernée, en tant que nouvelle actrice clé : sans être membre du Club de Paris, elle est créditrice de 20% de la dette totale des pays africains. Les créanciers privés doivent enfin impérativement être inclus eux aussi. A défaut, les efforts des contribuables des pays du Nord en matière d’allègement de dette seront simplement absorbés par les profits de ces créanciers, au lieu d’être utilisés pour prévenir et soigner le virus et minimiser l’impact social et économique. L’objectif doit donc être un consensus large entre pays du G20 et du Club de Paris, la Chine et les créanciers privés.
L’absence de consensus international ne doit toutefois pas servir d’excuse pour ne pas agir. En plus d’agir au sein des enceintes internationales, la Belgique peut et doit prendre des mesures urgentes sur ses propres créances en annulant la part illégitime, illégale, odieuse et insoutenable. C’est ce que demandent une vingtaine d’acteurs de la société civile belge regroupant à la fois des ONG humanitaires et de développement et des syndicats. Cette demande de la société civile ne représente ni une faveur, ni un chèque en blanc faits aux pays débiteurs. La société civile africaine est active pour exiger une redevabilité de ses responsables politiques afin que les fonds libérés soient effectivement assignés à la réponse à la crise du Covid-19.
Les solutions existent donc et le gouvernement belge, qu’il soit nouveau ou en affaires courantes, doit avoir la volonté politique d’y contribuer. Pour financer plus durablement le développement des pays du Sud, il faut impérativement rompre avec le modèle actuel basé sur l’endettement.
Par Anaïs Carton, Robin Delobel, Aranud Zacharie, Aurore Guieu et Renaud Vivien (publié le 25/09/2020)
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