23 Jan 2019
Tout le monde semble déjà l’avoir oublié, mais les élections présidentielles de 2017 furent également le théâtre d’un étonnant malaise collectif. Abstentions records, irrégularités massives, montée de l’extrême droite, surmédiatisation de certains candidats sur les écrans et enfin le chantage affectif d’entre deux tours assurant une victoire facile, pour beaucoup à contre-cœur, d’Emmanuel Macron. Certains parlaient alors de la pire élection jamais connue. Mais que reste-t-il de la démocratie française ? Est-elle seulement toujours en mesure de représenter la volonté d’un peuple dans la configuration du monde actuel ? Quand on regarde ce qu’il se passe chez nos voisins suisses, on comprend que tout n’est qu’une question de perspective… Notre pays dit « des droits de l’homme et de la démocratie» semble accumuler des lacunes en matière de représentativité du peuple. Cette question a d’ailleurs été soulevée durant ces derniers mois par beaucoup des candidats à la présidentielle, excepté le gagnant des élections. Nous avons entendu parler, par exemple, du « 49.3 citoyen » de Benoît Hamon ou encore du « référendum d’initiative citoyenne » de Jean-Luc Mélenchon. La remise en question de notre modèle démocratique fait irrémédiablement son chemin dans les esprits. En plein mouvement contestataire des gilets jaunes, que peut nous enseigner le modèle suisse ?
La singularité suisse
Avant d’entrer dans le vif du sujet, précision qu’il n’existe pas à ce jour de système démocratique parfait, la Suisse ne faisant pas exception. Par définition, la démocratie est une expérience collective dont les structures sont propres à chaque histoire. Elle est évolutive par nature, bien que les institutions rigides peinent à se transformer, nécessitant parfois des mouvements populaires importants ou des révolutions structurelles qui rencontrent le paradoxe d’un recul des principes démocratiques. Afin de bien apprécier la singularité suisse, arrêtons-nous un instant sur son système politique qui est singulièrement différent des autres : alors que nous vivons dans une démocratie majoritaire, incarnés dans la puissante symbolique du Président, les Suisses se sont dotés d’une démocratie consociationnelle ou consociative.
Dans les faits, comment ça marche ? Tout d’abord, et de la même manière que chez nous, les électeurs suisses élisent leurs représentants. Ces représentants vont siéger à l’Assemblée fédérale, composée du Conseil des États et du Conseil National. Le gouvernement (le Conseil Fédéral) est composé de 7 personnes élues par le Parlement et qui représentent toutes les principales forces politiques du pays. C’est pour cela qu’on parle de « consensus » puisque dans ce modèle, il n’y a pas de parti d’opposition : la pluralité est au cœur du système.
Dans ce contexte politique, les Suisses connaissent ce que certains appelleraient une forme de « démocratie directe » plus représentative. D’ailleurs, n’avez-vous jamais entendu le nom d’un chef d’État suisse ? En effet, le peuple suisse ne donne pas l’entièreté des pouvoirs aux représentants élus. Ils gardent à tout instant la possibilité de s’exprimer via trois voies démocratiques.
-> La première, le Référendum obligatoire, a lieu pour toute modification de la Constitution ou adhésion aux organismes et traités internationaux. Pour que la modification ou l’adhésion soit validée, il faut qu’une double majorité de la population et des cantons soit réunie.
-> Le Référendum facultatif, ensuite, qui permet aux citoyens de déclencher un référendum pour rejeter une loi dans les 100 jours suivant l’adoption de cette dernière, à la condition d’avoir réuni 50 000 signatures. Une loi impopulaire adoptée par les élus peut donc être rejetée collectivement.
-> Et, finalement, l’Initiative populaire qui symbolise probablement le mieux le sens de la démocratie participative. Le peuple suisse, suivant l’initiative populaire, peut déclencher un référendum pour modifier la Constitution, et, pour cela, il n’a seulement besoin que de 100 000 signatures récoltées en 18 mois.
Le referendum populaire est donc, comme on s’en doute, quelque chose de très fréquent en suisse puisque les électeurs sont appelés aux urnes tous les trois mois et doivent se prononcer contre ou en faveur de décisions portant sur la constitution (référendum constitutionnel), sur une loi (référendum législatif) ou sur un traité international (référendum conventionnel). La démocratie est donc particulièrement dynamique en Suisse, car les citoyens sont de ce fait pratiquement obligés de s’intéresser à la politique de leur pays.
Depuis 1848, création de la Suisse moderne, les Suisses ont voté 599 initiatives et referendum. Ainsi, en Suisse, les représentants sont contraints de partager le pouvoir avec la population grâce à un compromis démocratique inédit. Dans ces conditions, ce sont donc bien les lois qui sont mises en avant, ce qui va changer concrètement la vie des citoyens, et non les personnalités politiques. Un système diamétralement différent de celui de la France puisqu’en plus de voter pour des représentants, les citoyens suisses votent aussi sur des questions qui peuvent être posées par les autorités ou par un groupe de citoyens. Ainsi, l’exemple suisse nous enseigne qu’il n’y a pas « une démocratie unique », mais des autant de manières de l’articuler qu’il existe de constitutions et de procédés exprimant la volonté d’un peuple.
Une France conservatrice toujours à la traîne
Ainsi, avec leur arsenal de démocratie participative, les Suisses semblent avoir davantage de pouvoir que le peuple français. Un pouvoir consultatif, abrogatif (puisqu’ils peuvent demander l’annulation d’une loi) et un pouvoir d’initiative où ils peuvent être à l’origine même d’une nouvelle loi. Leur évolution n’est donc pas strictement linéaire ou bloquée par des représentants qui ne respecteraient pas ce pour quoi ils ont été élus. En France, l’approche est beaucoup plus primitive puisque le seul référendum prévu par la Constitution est le référendum normatif dans lequel le citoyen n’est consulté que pour l’adoption ou non de textes législatifs ou pour un projet de révision de la Constitution, après que ce projet ait été approuvé par les deux assemblées. Il faudra donc subir en attendant les prochaines élections avec l’espoir infime de dégager une majorité qui représenterait véritablement l’intérêt de la population. Un tel système ne peut-être que dépassé par l’évolution rapide du monde et par nature sujet à générer de l’abstention et de la colère populaire. Dès lors, si on vous demande pourquoi les Français sont beaucoup plus sujets à manifester que les autres, peut-être suffit-il de regarder du côté de ses institutions « démocratiques ».
La France est donc très loin de l’initiative populaire suisse, donc. Pourtant, tous les pays accolent volontiers le mot « démocratie » à leur système. Au regard des différentes démocraties qui évoluent dans le monde, il semblerait y avoir en France une réelle conception réductrice du pouvoir citoyen. Avec l’idée sous-jacente que le peuple français n’est pas à même de prendre des décisions. À tel point que ce peuple se lasse de plus en plus de ce simulacre de démocratie, aggravé à grands coups de 49.3 et d’ordonnances trop souvent au profit du grand capital. Tout ceci a développé une méfiance générale vis-à-vis des politiques, voire fracture, qui se traduit par une abstention historique.
Pas étonnant alors que les candidats aux dernières élections aient fait la part belle à cette notion de démocratie participative pour séduire, à tort ou à raison, leur cible. Il y a quelques mois encore, on retrouvait dans les discours le souhait d’instaurer le principe du référendum d’initiative populaire chez Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau et même Marine Le Pen, dans des conceptions aussi variées que leurs idées politiques. Rien, en revanche, du côté du programme du Président de la République élu, Emmanuel Macron. Au contraire, celui-ci déclarait bien avant l’élection vouloir gouverner par ordonnances, oubliant le rôle « clé de voûte » du président, et non de monarque qui prendrait le contrôle de la nation.
Il est donc légitime de se poser la question. Que serait-il advenu de la Loi El Khomri, massivement impopulaire, si le peuple français avait eu la possibilité d’organiser un référendum facultatif sur la question ? Combien de décisions récentes, jugées impopulaires, auraient-elles pu voir le jour sous Macron dans un système démocratique à la Suisse ? Le mouvement même des gilets jaunes serait-il né si nous vivions dans une démocratie plus représentative ?
Les opposants à l’instauration du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) estiment que le pays est déjà doté d’un outil très similaire. En novembre 2013, des avancées en la matière semblaient s’initier avec deux projets de loi sur le référendum d’initiative populaire qui avaient obtenu le feu vert du Parlement. Sur le papier, il serait donc possible d’organiser une consultation à l’initiative des citoyens. Un nouveau droit participatif ? Et bien non, puisqu’en réalité l’initiative appartient pour l’instant uniquement aux élus. Au moins 185 parlementaires, 1/5 du parlement sont requis pour que le texte de loi soit proposé à consultation populaire… Cette fausse avancée sert davantage l’opposition et ne ressemble en rien à un outil de démocratie participative. D’ailleurs, le dispositif a été renommé, passant de « référendum d’initiative populaire » à « référendum d’initiative partagée ».
Comme l’explique Antoine Bevort, professeur de sociologie dans un article sur Reporterre, nous sommes encore très loin du modèle suisse : « Les procédures françaises expriment une vision très restrictive des droits citoyens. Au niveau national, le référendum dit « d’initiative partagée » est un étrange objet référendaire, qui a peu à voir avec un droit citoyen. Ce référendum, rappelons-le, ne peut être organisé qu’à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs, alors qu’en Suisse, il suffit de 1 ou 2 % des électeurs pour qu’un référendum législatif ou d’initiative soit obligatoirement organisé, sans intervention de parlementaires. Il est peu vraisemblable qu’un tel référendum soit organisé un jour en France alors que depuis 1891, la Suisse a organisé 184 référendums d’initiatives. »
Un système parfait ?
Pour autant, doit-on en conclure que l’exemple suisse de démocratie participative est sans faille ? Bien au contraire, chaque modèle connaît ses avantages et imperfections. Celui-ci semble également amener également son lot d’inégalités et d’injustices. Par exemple, 23% d’étrangers n’auraient pas le droit de vote sur le plan fédéral. Il semblerait également que le referendum soit devenu un moyen de pression des lobbies sur les députés pour défendre leurs intérêts. Le capitalisme semble avoir cette faculté de pouvoir s’adapter à tous les systèmes. Ensuite, des figures réactionnaires utilisent ces droits pour faire la publicité de leurs idées extrêmes en proposant des référendums populistes contre une partie ciblée de la population.
Autre question qui mérite d’être posée, jusqu’où peut aller le référendum populaire ? S’il semblerait qu’à droite on essaye d’en limiter le nombre de votations, à gauche aussi il pose problème. En effet, la démocratie directe, telle qu’elle est pensée ici, peut tout à fait permettre l’émergence de votations contraires aux « droits fondamentaux » ou aux principes de solidarité. Surtout dans un contexte de montée du nationalisme dans les populations européennes. De plus, s’il est beaucoup plus enviable que ce que nous connaissons en France, ce système de référendum reste un système de vote. Un « oui » ou un « non » en réponse à une question posée peut également être réducteur, surtout lorsqu’on sait que la manipulation peut se cacher dans la formulation. Entre image d’Épinal et véritable arme démocratique, le référendum n’est pas perfectible, mais tend à le devenir par l’expérimentation. Encore faut-il avoir le courage de l’adopter !
Ainsi, nous rêvons tous d’un modèle de démocratie plus juste et représentatif comme en propose la Suisse. Il paraît évident que de telles dispositions au service du peuple français permettraient de renverser les jeux de dupes des gouvernants, de bloquer des lois scélérates sans recourir au blocage généralisé ou encore d’inciter les pouvoirs en place à un peu plus de retenue lorsqu’ils invoquent leur légitimité électorale pour s’asseoir sur les valeurs de leurs électeurs. Pour autant, est-ce là le système auquel nous aspirons ? La démocratie participative suisse est-elle l’apogée de cette démocratie que tout le monde semble s’accorder à défendre ? Pas si on considère la démocratie comme l’expérimentation de la représentativité d’un peuple, imparfait, car pluraliste, par nature.
À ce sujet, Pierre Rosanvallon, organisateur du Forum de la République des Idées, nous informe d’une notion primordiale : « Il y a deux façons de concevoir la démocratie participative. On peut d’abord l’appréhender comme une forme de correction de la démocratie représentative par la mise en œuvre de processus de démocratie directe. C’est le cas du référendum et des différents projets d’initiative populaire. Il y a certainement des avancées à réaliser dans ce domaine, car on peut dire que la France est en retard sur ce point. Mais on doit aussi concevoir l’idée de démocratie participative autrement, comme un processus d’implication, et si je puis dire d’intéressement des citoyens, à la chose publique. Dans cette deuxième définition, la démocratie participative est beaucoup plus liée à l’idée d’association à la délibération, à l’information, à la reddition de comptes de la part des gouvernants. Dans cette mesure, on peut dire qu’il s’agit d’une démocratie interactive qui oblige en permanence le pouvoir à s’expliquer, à rendre des comptes et à informer. »
Il semblerait que ce soit davantage cette dernière idée qui mérite d’être explorée : se réapproprier notre pouvoir citoyen, grâce à des échanges et des décisions prises à la lumière de réelles informations, de manière participative. Un système politique qui dépasserait donc notre système purement électoral. Nous en sommes malheureusement encore très loin. Si le nom de « RIC » semble se populariser en ce moment même, la simple idée de réformer la constitution actuelle au bénéfice de tous semble toujours donner des relents conservateurs à une part de la population.
Publié le 12/12/18
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La singularité suisse
Avant d’entrer dans le vif du sujet, précision qu’il n’existe pas à ce jour de système démocratique parfait, la Suisse ne faisant pas exception. Par définition, la démocratie est une expérience collective dont les structures sont propres à chaque histoire. Elle est évolutive par nature, bien que les institutions rigides peinent à se transformer, nécessitant parfois des mouvements populaires importants ou des révolutions structurelles qui rencontrent le paradoxe d’un recul des principes démocratiques. Afin de bien apprécier la singularité suisse, arrêtons-nous un instant sur son système politique qui est singulièrement différent des autres : alors que nous vivons dans une démocratie majoritaire, incarnés dans la puissante symbolique du Président, les Suisses se sont dotés d’une démocratie consociationnelle ou consociative.
Dans les faits, comment ça marche ? Tout d’abord, et de la même manière que chez nous, les électeurs suisses élisent leurs représentants. Ces représentants vont siéger à l’Assemblée fédérale, composée du Conseil des États et du Conseil National. Le gouvernement (le Conseil Fédéral) est composé de 7 personnes élues par le Parlement et qui représentent toutes les principales forces politiques du pays. C’est pour cela qu’on parle de « consensus » puisque dans ce modèle, il n’y a pas de parti d’opposition : la pluralité est au cœur du système.
Dans ce contexte politique, les Suisses connaissent ce que certains appelleraient une forme de « démocratie directe » plus représentative. D’ailleurs, n’avez-vous jamais entendu le nom d’un chef d’État suisse ? En effet, le peuple suisse ne donne pas l’entièreté des pouvoirs aux représentants élus. Ils gardent à tout instant la possibilité de s’exprimer via trois voies démocratiques.
-> La première, le Référendum obligatoire, a lieu pour toute modification de la Constitution ou adhésion aux organismes et traités internationaux. Pour que la modification ou l’adhésion soit validée, il faut qu’une double majorité de la population et des cantons soit réunie.
-> Le Référendum facultatif, ensuite, qui permet aux citoyens de déclencher un référendum pour rejeter une loi dans les 100 jours suivant l’adoption de cette dernière, à la condition d’avoir réuni 50 000 signatures. Une loi impopulaire adoptée par les élus peut donc être rejetée collectivement.
-> Et, finalement, l’Initiative populaire qui symbolise probablement le mieux le sens de la démocratie participative. Le peuple suisse, suivant l’initiative populaire, peut déclencher un référendum pour modifier la Constitution, et, pour cela, il n’a seulement besoin que de 100 000 signatures récoltées en 18 mois.
Le referendum populaire est donc, comme on s’en doute, quelque chose de très fréquent en suisse puisque les électeurs sont appelés aux urnes tous les trois mois et doivent se prononcer contre ou en faveur de décisions portant sur la constitution (référendum constitutionnel), sur une loi (référendum législatif) ou sur un traité international (référendum conventionnel). La démocratie est donc particulièrement dynamique en Suisse, car les citoyens sont de ce fait pratiquement obligés de s’intéresser à la politique de leur pays.
Depuis 1848, création de la Suisse moderne, les Suisses ont voté 599 initiatives et referendum. Ainsi, en Suisse, les représentants sont contraints de partager le pouvoir avec la population grâce à un compromis démocratique inédit. Dans ces conditions, ce sont donc bien les lois qui sont mises en avant, ce qui va changer concrètement la vie des citoyens, et non les personnalités politiques. Un système diamétralement différent de celui de la France puisqu’en plus de voter pour des représentants, les citoyens suisses votent aussi sur des questions qui peuvent être posées par les autorités ou par un groupe de citoyens. Ainsi, l’exemple suisse nous enseigne qu’il n’y a pas « une démocratie unique », mais des autant de manières de l’articuler qu’il existe de constitutions et de procédés exprimant la volonté d’un peuple.
Une France conservatrice toujours à la traîne
Ainsi, avec leur arsenal de démocratie participative, les Suisses semblent avoir davantage de pouvoir que le peuple français. Un pouvoir consultatif, abrogatif (puisqu’ils peuvent demander l’annulation d’une loi) et un pouvoir d’initiative où ils peuvent être à l’origine même d’une nouvelle loi. Leur évolution n’est donc pas strictement linéaire ou bloquée par des représentants qui ne respecteraient pas ce pour quoi ils ont été élus. En France, l’approche est beaucoup plus primitive puisque le seul référendum prévu par la Constitution est le référendum normatif dans lequel le citoyen n’est consulté que pour l’adoption ou non de textes législatifs ou pour un projet de révision de la Constitution, après que ce projet ait été approuvé par les deux assemblées. Il faudra donc subir en attendant les prochaines élections avec l’espoir infime de dégager une majorité qui représenterait véritablement l’intérêt de la population. Un tel système ne peut-être que dépassé par l’évolution rapide du monde et par nature sujet à générer de l’abstention et de la colère populaire. Dès lors, si on vous demande pourquoi les Français sont beaucoup plus sujets à manifester que les autres, peut-être suffit-il de regarder du côté de ses institutions « démocratiques ».
La France est donc très loin de l’initiative populaire suisse, donc. Pourtant, tous les pays accolent volontiers le mot « démocratie » à leur système. Au regard des différentes démocraties qui évoluent dans le monde, il semblerait y avoir en France une réelle conception réductrice du pouvoir citoyen. Avec l’idée sous-jacente que le peuple français n’est pas à même de prendre des décisions. À tel point que ce peuple se lasse de plus en plus de ce simulacre de démocratie, aggravé à grands coups de 49.3 et d’ordonnances trop souvent au profit du grand capital. Tout ceci a développé une méfiance générale vis-à-vis des politiques, voire fracture, qui se traduit par une abstention historique.
Pas étonnant alors que les candidats aux dernières élections aient fait la part belle à cette notion de démocratie participative pour séduire, à tort ou à raison, leur cible. Il y a quelques mois encore, on retrouvait dans les discours le souhait d’instaurer le principe du référendum d’initiative populaire chez Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau et même Marine Le Pen, dans des conceptions aussi variées que leurs idées politiques. Rien, en revanche, du côté du programme du Président de la République élu, Emmanuel Macron. Au contraire, celui-ci déclarait bien avant l’élection vouloir gouverner par ordonnances, oubliant le rôle « clé de voûte » du président, et non de monarque qui prendrait le contrôle de la nation.
Il est donc légitime de se poser la question. Que serait-il advenu de la Loi El Khomri, massivement impopulaire, si le peuple français avait eu la possibilité d’organiser un référendum facultatif sur la question ? Combien de décisions récentes, jugées impopulaires, auraient-elles pu voir le jour sous Macron dans un système démocratique à la Suisse ? Le mouvement même des gilets jaunes serait-il né si nous vivions dans une démocratie plus représentative ?
Les opposants à l’instauration du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) estiment que le pays est déjà doté d’un outil très similaire. En novembre 2013, des avancées en la matière semblaient s’initier avec deux projets de loi sur le référendum d’initiative populaire qui avaient obtenu le feu vert du Parlement. Sur le papier, il serait donc possible d’organiser une consultation à l’initiative des citoyens. Un nouveau droit participatif ? Et bien non, puisqu’en réalité l’initiative appartient pour l’instant uniquement aux élus. Au moins 185 parlementaires, 1/5 du parlement sont requis pour que le texte de loi soit proposé à consultation populaire… Cette fausse avancée sert davantage l’opposition et ne ressemble en rien à un outil de démocratie participative. D’ailleurs, le dispositif a été renommé, passant de « référendum d’initiative populaire » à « référendum d’initiative partagée ».
Comme l’explique Antoine Bevort, professeur de sociologie dans un article sur Reporterre, nous sommes encore très loin du modèle suisse : « Les procédures françaises expriment une vision très restrictive des droits citoyens. Au niveau national, le référendum dit « d’initiative partagée » est un étrange objet référendaire, qui a peu à voir avec un droit citoyen. Ce référendum, rappelons-le, ne peut être organisé qu’à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs, alors qu’en Suisse, il suffit de 1 ou 2 % des électeurs pour qu’un référendum législatif ou d’initiative soit obligatoirement organisé, sans intervention de parlementaires. Il est peu vraisemblable qu’un tel référendum soit organisé un jour en France alors que depuis 1891, la Suisse a organisé 184 référendums d’initiatives. »
Un système parfait ?
Pour autant, doit-on en conclure que l’exemple suisse de démocratie participative est sans faille ? Bien au contraire, chaque modèle connaît ses avantages et imperfections. Celui-ci semble également amener également son lot d’inégalités et d’injustices. Par exemple, 23% d’étrangers n’auraient pas le droit de vote sur le plan fédéral. Il semblerait également que le referendum soit devenu un moyen de pression des lobbies sur les députés pour défendre leurs intérêts. Le capitalisme semble avoir cette faculté de pouvoir s’adapter à tous les systèmes. Ensuite, des figures réactionnaires utilisent ces droits pour faire la publicité de leurs idées extrêmes en proposant des référendums populistes contre une partie ciblée de la population.
Autre question qui mérite d’être posée, jusqu’où peut aller le référendum populaire ? S’il semblerait qu’à droite on essaye d’en limiter le nombre de votations, à gauche aussi il pose problème. En effet, la démocratie directe, telle qu’elle est pensée ici, peut tout à fait permettre l’émergence de votations contraires aux « droits fondamentaux » ou aux principes de solidarité. Surtout dans un contexte de montée du nationalisme dans les populations européennes. De plus, s’il est beaucoup plus enviable que ce que nous connaissons en France, ce système de référendum reste un système de vote. Un « oui » ou un « non » en réponse à une question posée peut également être réducteur, surtout lorsqu’on sait que la manipulation peut se cacher dans la formulation. Entre image d’Épinal et véritable arme démocratique, le référendum n’est pas perfectible, mais tend à le devenir par l’expérimentation. Encore faut-il avoir le courage de l’adopter !
Ainsi, nous rêvons tous d’un modèle de démocratie plus juste et représentatif comme en propose la Suisse. Il paraît évident que de telles dispositions au service du peuple français permettraient de renverser les jeux de dupes des gouvernants, de bloquer des lois scélérates sans recourir au blocage généralisé ou encore d’inciter les pouvoirs en place à un peu plus de retenue lorsqu’ils invoquent leur légitimité électorale pour s’asseoir sur les valeurs de leurs électeurs. Pour autant, est-ce là le système auquel nous aspirons ? La démocratie participative suisse est-elle l’apogée de cette démocratie que tout le monde semble s’accorder à défendre ? Pas si on considère la démocratie comme l’expérimentation de la représentativité d’un peuple, imparfait, car pluraliste, par nature.
À ce sujet, Pierre Rosanvallon, organisateur du Forum de la République des Idées, nous informe d’une notion primordiale : « Il y a deux façons de concevoir la démocratie participative. On peut d’abord l’appréhender comme une forme de correction de la démocratie représentative par la mise en œuvre de processus de démocratie directe. C’est le cas du référendum et des différents projets d’initiative populaire. Il y a certainement des avancées à réaliser dans ce domaine, car on peut dire que la France est en retard sur ce point. Mais on doit aussi concevoir l’idée de démocratie participative autrement, comme un processus d’implication, et si je puis dire d’intéressement des citoyens, à la chose publique. Dans cette deuxième définition, la démocratie participative est beaucoup plus liée à l’idée d’association à la délibération, à l’information, à la reddition de comptes de la part des gouvernants. Dans cette mesure, on peut dire qu’il s’agit d’une démocratie interactive qui oblige en permanence le pouvoir à s’expliquer, à rendre des comptes et à informer. »
Il semblerait que ce soit davantage cette dernière idée qui mérite d’être explorée : se réapproprier notre pouvoir citoyen, grâce à des échanges et des décisions prises à la lumière de réelles informations, de manière participative. Un système politique qui dépasserait donc notre système purement électoral. Nous en sommes malheureusement encore très loin. Si le nom de « RIC » semble se populariser en ce moment même, la simple idée de réformer la constitution actuelle au bénéfice de tous semble toujours donner des relents conservateurs à une part de la population.
Publié le 12/12/18
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