19 May 2015
Comme prévu dans la «Loi de paiement souverain» du 10 septembre 2014, le parlement argentin a officiellement créé la Commission bicamérale d’audit de la dette pour la période de 1976 à 2014.
Si cette décision est à saluer, le CADTM se joint à l'«Assemblée pour la suspension du paiement de la dette et l’audit de la dette en défense du patrimoine national et des biens communs» pour exiger depuis le mois d’octobre 2014 que l’Argentine suive l’exemple de l’audit de la dette réalisé par l’Équateur en 2007-2008, à savoir que cet audit soit un audit intégral de la dette, non confidentiel et qu’il implique une participation citoyenne active. Dans cette perspective, une conférence internationale sur la dette est convoquée par l’«Assemblée» les 3, 4 et 5 juin prochain à Buenos Aires.
Durant de nombreuses années, un large spectre de personnalités et d’organisations sociales et politiques ont réclamé un audit de la dette publique de l’Argentine, contractée illégalement durant la dictature génocidaire de 1976 à 1983.
La revendication initiale du temps de la dictature résidait en un refus de paiement de la dette. Des actions d’enquêtes judiciaires ont nourri cette revendication, parmi lesquelles se distingue le travail inlassable d’Alejandro Olmos en matière de dénonciation de la dette jusqu’en 1983. Olmos, décédé le 24 avril 2000, n’a pas eu connaissance du jugement du juge Ballesteros en juillet 2000, lequel dénonçait 477 cas de fraude, étayant leurs mécanismes et leurs responsables, dont certains ont occupé depuis lors des fonctions gouvernementales et de représentation publique, en dépit de ce jugement.
Un argument répété avec insistance depuis différentes sources affirme que la dette ne peut être questionnée puisqu’elle a été légalisée par les restructurations successives survenues à chaque tournant constitutionnel depuis 1983. Si l’on suit cette logique, la seule option consisterait donc à rembourser la dette, mais face à l’impossibilité de le faire, la restructuration de la dette a été le processus réitéré après chaque élection présidentielle.
Les renégociations successives ont conduit à une augmentation de l’endettement public.
Si la dictature a légué à l’Argentine une dette d’environ 45 milliards de dollars, la dette a grimpé jusqu’à 141 milliards juste avant la crise de 2001 et la cessation partielle des paiements concernait 100 milliards de dollars.
Actuellement, malgré plusieurs paiements considérables totalisant 200 milliards de dollars selon les informations du Ministère de l’économie, le stock de la dette publique de l’État argentin avoisine les 250 milliards de dollars.
Il est toutefois exact que le ratio dette externe / PIB a diminué depuis la restructuration de 2005, bien que ces règles statistiques de pondération des mesures officielles soient sujettes à discussion.
Le retour sur les marchés de crédit opéré ces derniers temps via des swaps conclus avec la Chine, des déboursements de la France et des organisations internationales, ou les récentes émissions de bons, rendent compte du recours à l’endettement pour annuler des passifs externes ou des demandes locales de dépenses publiques.
Commission bicamérale
Malgré les arguments s’opposant à un audit de la dette, la loi 26.984 de « paiement souverain », entrée en vigueur en septembre 2014, inclut dans son article 12 la constitution d’une Commission bicamérale d’audit de la dette de 1976 à 2014.
L’article 12 stipule :
"Est créée dans le cadre du Congrès de la Nation la Commission bicamérale permanente sur la recherche de l’origine et le suivi de la gestion et du paiement de la dette externe de la Nation, laquelle sera composée de huit (8) sénateurs et huit (8) députés, désignés par les présidents des Chambres respectives, sur proposition des blocs parlementaires en respectant la proportion des représentations politiques, et qui sera régie par le règlement interne émis à cette fin.
La Commission bicamérale permanente créée par la présente loi vise à déterminer l’origine, l’évolution et la situation actuelle de la dette extérieure de l’Argentine, depuis le 24 mars 1976 jusqu’à ce jour, en prenant en considération les renégociations, les refinancements, les échanges de dettes, les paiements de commissions, les défauts et les restructurations, et en émettant un avis sur l’effet des montants, des taux et des termes conclus dans chaque cas, ainsi que sur d’éventuelles irrégularités.
La Commission dispose également des fonctions suivantes :
Les membres de ladite Commission bicamérale permanente ainsi que le personnel permanent ou temporaire désigné à cette fin, doivent observer une stricte confidentialité concernant les informations auxquels ils auront accès en vertu de l’alinéa précédent. (...)» |1|
Les dispositions de l’article 12 ont été saluées comme une reconnaissance de la revendication historique d’un audit de la dette. En réponses à diverses pressions sociales et politiques, le Parlement a convoqué officiellement cette semaine la Commission bicamérale, avec une large approbation de la majorité au pouvoir.
Il convient de mentionner le travail d’audit de la dette qui a été lancé début avril en Grèce, à l’initiative du Parlement grec |2|.
En Grèce, à la différence du cas argentin, des spécialistes de la question issus des mouvements sociaux, et en particulier du CADTM, font partie de la commission d’audit, que coordonne le belge Eric Toussaint.
En Grèce comme en Argentine, c’est la situation qui résulte de l’endettement qui est fondamentale.
Dans le pays européen, l’audit se penche plus particulièrement sur la dette récente, laquelle a augmenté suite à la crise capitaliste qui a éclaté entre 2007 et 2009. Les gouvernements grecs ont contribué aux sauvetages des banques, contractant des emprunts au détriment de la population |3|. L’audit actuel met en évidence le rôle des banques transnationales, soutenues et alimentées par les politiques des institutions financières internationales, de la BCE et des autorités de l’Union européenne.
En ce qui concerne l’Argentine, il s’agit de prendre en considération les pratiques héritées de la dictature visant à soumettre le pays à la logique néolibérale des multinationales : un accroissement de la dépendance par le mécanisme de la dette publique et la socialisation des dettes privées, l’ouverture des marchés économiques, la législation et la politique financière de délocalisation, et la promotion des investissements étrangers.
Il s’agit d’un processus qui a perduré durant toute la période constitutionnelle avec une extension du mécanisme de la dette.
L’audit de la dette supposerait la suspension des paiements, une chose impensable face à la profession de foi pour rembourser la dette à tout prix.
Un problème auquel la Commission bicamérale sera confronté est la durée très courte dont elle dispose pour réaliser l’audit. D’autant plus que les 180 jours assignés coïncident avec la fin du mandat présidentiel en cours.
Conférence internationale contre le cancer de la dette
Le jour même de la réunion de la Commission bicamérale a pris place une audience publique convoquée par l’ « Assemblée pour la suspension du paiement et l’audit de la dette en défense du patrimoine national et des biens communs » et qui a exigé que la Commission bicamérale s’ouvre à la participation populaire.
Des participants de la minorité à la Bicamérale se sont proposés comme relais de l’expression de la participation populaire dans l’enceinte de la commission |4|.
L’«Assemblée» convoque une conférence internationale sur la dette les 3, 4 et 5 juin prochain à Buenos Aires.
Cette convocation trouve une résonance en Grèce et dans des contextes d’articulation mondiale comme l’ONU, où sont discutées les restructurations de dettes souveraines, ainsi qu’au sein des mouvements populaires qui exigent de se réapproprier la question et l’initiative politique via des campagnes pour une nouvelle architecture financière et un nouvel ordre mondial.
La Conférence internationale à Buenos Aires est un évènement d’une campagne qui requiert la volonté de millions de militants actifs contre le cancer de la dette.
Buenos Aires, 1er mai 2015
Traduction par Roxane Zadvat, en collaboration avec Robin Delobel et Maud Bailly
Par Julio C. Gambina
Lire sur le site du CADTM (08/05/2015)
Si cette décision est à saluer, le CADTM se joint à l'«Assemblée pour la suspension du paiement de la dette et l’audit de la dette en défense du patrimoine national et des biens communs» pour exiger depuis le mois d’octobre 2014 que l’Argentine suive l’exemple de l’audit de la dette réalisé par l’Équateur en 2007-2008, à savoir que cet audit soit un audit intégral de la dette, non confidentiel et qu’il implique une participation citoyenne active. Dans cette perspective, une conférence internationale sur la dette est convoquée par l’«Assemblée» les 3, 4 et 5 juin prochain à Buenos Aires.
Durant de nombreuses années, un large spectre de personnalités et d’organisations sociales et politiques ont réclamé un audit de la dette publique de l’Argentine, contractée illégalement durant la dictature génocidaire de 1976 à 1983.
La revendication initiale du temps de la dictature résidait en un refus de paiement de la dette. Des actions d’enquêtes judiciaires ont nourri cette revendication, parmi lesquelles se distingue le travail inlassable d’Alejandro Olmos en matière de dénonciation de la dette jusqu’en 1983. Olmos, décédé le 24 avril 2000, n’a pas eu connaissance du jugement du juge Ballesteros en juillet 2000, lequel dénonçait 477 cas de fraude, étayant leurs mécanismes et leurs responsables, dont certains ont occupé depuis lors des fonctions gouvernementales et de représentation publique, en dépit de ce jugement.
Un argument répété avec insistance depuis différentes sources affirme que la dette ne peut être questionnée puisqu’elle a été légalisée par les restructurations successives survenues à chaque tournant constitutionnel depuis 1983. Si l’on suit cette logique, la seule option consisterait donc à rembourser la dette, mais face à l’impossibilité de le faire, la restructuration de la dette a été le processus réitéré après chaque élection présidentielle.
Les renégociations successives ont conduit à une augmentation de l’endettement public.
Si la dictature a légué à l’Argentine une dette d’environ 45 milliards de dollars, la dette a grimpé jusqu’à 141 milliards juste avant la crise de 2001 et la cessation partielle des paiements concernait 100 milliards de dollars.
Actuellement, malgré plusieurs paiements considérables totalisant 200 milliards de dollars selon les informations du Ministère de l’économie, le stock de la dette publique de l’État argentin avoisine les 250 milliards de dollars.
Il est toutefois exact que le ratio dette externe / PIB a diminué depuis la restructuration de 2005, bien que ces règles statistiques de pondération des mesures officielles soient sujettes à discussion.
Le retour sur les marchés de crédit opéré ces derniers temps via des swaps conclus avec la Chine, des déboursements de la France et des organisations internationales, ou les récentes émissions de bons, rendent compte du recours à l’endettement pour annuler des passifs externes ou des demandes locales de dépenses publiques.
Commission bicamérale
Malgré les arguments s’opposant à un audit de la dette, la loi 26.984 de « paiement souverain », entrée en vigueur en septembre 2014, inclut dans son article 12 la constitution d’une Commission bicamérale d’audit de la dette de 1976 à 2014.
L’article 12 stipule :
"Est créée dans le cadre du Congrès de la Nation la Commission bicamérale permanente sur la recherche de l’origine et le suivi de la gestion et du paiement de la dette externe de la Nation, laquelle sera composée de huit (8) sénateurs et huit (8) députés, désignés par les présidents des Chambres respectives, sur proposition des blocs parlementaires en respectant la proportion des représentations politiques, et qui sera régie par le règlement interne émis à cette fin.
La Commission bicamérale permanente créée par la présente loi vise à déterminer l’origine, l’évolution et la situation actuelle de la dette extérieure de l’Argentine, depuis le 24 mars 1976 jusqu’à ce jour, en prenant en considération les renégociations, les refinancements, les échanges de dettes, les paiements de commissions, les défauts et les restructurations, et en émettant un avis sur l’effet des montants, des taux et des termes conclus dans chaque cas, ainsi que sur d’éventuelles irrégularités.
La Commission dispose également des fonctions suivantes :
- Le suivi de la gestion et des paiements effectués.
- L’étude de la légalité ou de l’illégalité des acquisitions hostiles opérées par les fonds vautours (...) ainsi que l’action développée dans notre pays par l’équipe spéciale engagée par ceux-ci (American Task Force Argentina - AFTA) dédié à discréditer l’Argentine, son pouvoir exécutif, le Congrès de la Nation et son pouvoir judiciaire.
- La présentation d’un rapport final sur les sujets abordés dans cet article sera examiné par les deux Chambres, dans les cent quatre-vingts (180) jours suivant sa constitution.
Les membres de ladite Commission bicamérale permanente ainsi que le personnel permanent ou temporaire désigné à cette fin, doivent observer une stricte confidentialité concernant les informations auxquels ils auront accès en vertu de l’alinéa précédent. (...)» |1|
Les dispositions de l’article 12 ont été saluées comme une reconnaissance de la revendication historique d’un audit de la dette. En réponses à diverses pressions sociales et politiques, le Parlement a convoqué officiellement cette semaine la Commission bicamérale, avec une large approbation de la majorité au pouvoir.
Il convient de mentionner le travail d’audit de la dette qui a été lancé début avril en Grèce, à l’initiative du Parlement grec |2|.
En Grèce, à la différence du cas argentin, des spécialistes de la question issus des mouvements sociaux, et en particulier du CADTM, font partie de la commission d’audit, que coordonne le belge Eric Toussaint.
En Grèce comme en Argentine, c’est la situation qui résulte de l’endettement qui est fondamentale.
Dans le pays européen, l’audit se penche plus particulièrement sur la dette récente, laquelle a augmenté suite à la crise capitaliste qui a éclaté entre 2007 et 2009. Les gouvernements grecs ont contribué aux sauvetages des banques, contractant des emprunts au détriment de la population |3|. L’audit actuel met en évidence le rôle des banques transnationales, soutenues et alimentées par les politiques des institutions financières internationales, de la BCE et des autorités de l’Union européenne.
En ce qui concerne l’Argentine, il s’agit de prendre en considération les pratiques héritées de la dictature visant à soumettre le pays à la logique néolibérale des multinationales : un accroissement de la dépendance par le mécanisme de la dette publique et la socialisation des dettes privées, l’ouverture des marchés économiques, la législation et la politique financière de délocalisation, et la promotion des investissements étrangers.
Il s’agit d’un processus qui a perduré durant toute la période constitutionnelle avec une extension du mécanisme de la dette.
L’audit de la dette supposerait la suspension des paiements, une chose impensable face à la profession de foi pour rembourser la dette à tout prix.
Un problème auquel la Commission bicamérale sera confronté est la durée très courte dont elle dispose pour réaliser l’audit. D’autant plus que les 180 jours assignés coïncident avec la fin du mandat présidentiel en cours.
Conférence internationale contre le cancer de la dette
Le jour même de la réunion de la Commission bicamérale a pris place une audience publique convoquée par l’ « Assemblée pour la suspension du paiement et l’audit de la dette en défense du patrimoine national et des biens communs » et qui a exigé que la Commission bicamérale s’ouvre à la participation populaire.
Des participants de la minorité à la Bicamérale se sont proposés comme relais de l’expression de la participation populaire dans l’enceinte de la commission |4|.
L’«Assemblée» convoque une conférence internationale sur la dette les 3, 4 et 5 juin prochain à Buenos Aires.
Cette convocation trouve une résonance en Grèce et dans des contextes d’articulation mondiale comme l’ONU, où sont discutées les restructurations de dettes souveraines, ainsi qu’au sein des mouvements populaires qui exigent de se réapproprier la question et l’initiative politique via des campagnes pour une nouvelle architecture financière et un nouvel ordre mondial.
La Conférence internationale à Buenos Aires est un évènement d’une campagne qui requiert la volonté de millions de militants actifs contre le cancer de la dette.
Buenos Aires, 1er mai 2015
Traduction par Roxane Zadvat, en collaboration avec Robin Delobel et Maud Bailly
Par Julio C. Gambina
Lire sur le site du CADTM (08/05/2015)