Contourner, démanteler Google ? Vers un internet libre et autogéré
La pieuvre Google (et autres géants du web)
Google fait parti des dits « géants du web », et à juste titre : l’ogre Alphabet,  conglomérat de sociétés précédemment détenues par la société Google créé en 2015, est valorisé à hauteur de 555 milliard de dollars. Un nombre impressionnant de nos activités sur internet dépendent de Google : le moteur de recherche, le mail, Youtube, nos téléphones avec Android, Waze, Chrome, les Google documents, Google Maps, etc. En France, 90% des internautes utilisent le moteur de recherche Google. Le ministre danois des Affaires étrangères envisage même de passer à une diplomatie qui mette Google sur le même plan que les Etats : « Dans le futur, nos relations bilatérales avec Google seront aussi importantes que celles que nous avons avec la Grèce ».1
La plupart de ces services sont gratuits. Le modèle économique est connu : la gratuité permet d’attirer largement le grand public, de l’habituer à une offre qui devient incontournable, et de se financer par la publicité ou l’offre de produits « premium » ou destinés aux entreprises. Mais il faut aussi ajouter un autre aspect qui prend de plus en plus de place, et qu’on pourrait résumer par la formule « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». Il s’agit du « big data », cette rentabilisation de l’énorme quantité de données qui sont collectées sur les utilisateurs·trices. Les données récoltées via Google sont par exemple revendues à Amazon pour mieux cibler les client·e·s. La même logique s’applique à d’autres géants comme Facebook.
La défense principale des entreprises est qu’il s’agirait simplement d’un libre choix contre un service. La méfiance est pourtant légitime. On apprenait par exemple en novembre 2017 que Google collecte les données de géolocalisation des smartphones Android même lorsque le service de géolocalisation est désactivé2  (officiellement, ils ont arrêté depuis…).
Cette surpuissance quasi monopolistique permet notamment à Google d’abuser de sa position dominante. La commission européenne a par exemple infligé l’an dernier une amende record de 2,42 milliards d’euros à Google pour avoir abusé de sa position dominante dans la recherche en ligne afin de favoriser son comparateur de prix « Google Shopping ».
Une entreprise comme Google pose aussi de nombreux problèmes nouveaux en termes de fiscalité : son activité beaucoup moins palpable se prête particulièrement à «l’optimisation fiscale». Ainsi les revenus publicitaires dégagés en France par Google sont simplement déclarés en Irlande, où les impôts sont nettement plus faibles (dumping fiscal). Face à la complexité des preuves nécessaires, et à la puissance des avocats de Google, le fisc français a perdu un procès sur ce sujet en juillet 2017.
Les projets de réformes de la fiscalité pour récupérer le manque à gagner sont régulièrement appelés «taxe Google».3
À l’heure de son vingtième anniversaire, Google se retrouve dans l’œil du cyclone, et fait l’objet de plus en plus de critiques. La petite startup dont le slogan des débuts était «Don’t be evil» est devenue pour beaucoup un symbole de plus du capitalisme.
Contourner Google ?
On peut noter une certaine prise de conscience des utilisateurs et utilisatrices sur l’usage de leurs données. Vu l’importance gigantesque du web dans nos vie, le respect de la vie privée devient de plus en plus important.
Bien que non nécessairement anti-capitaliste, de nombreux projets respectueux de la vie privée (donc basés sur du logiciel libre) offrent des services équivalents à ceux de Google. En particulier, le projet Framasoft est une vraie réussite. Ce réseau a lancé le projet «dégooglisons internet» (https://degooglisons-internet.org/) qui part du constat que les géants du web centralisent nos vies privées en échange de leurs services et que les communautés du logiciel libre offrent des services alternatifs respectueux de la vie privée. Framasoft, pour le démontrer facilite l’utilisation de ces services. Voici quelques uns des services proposés :
Framapad : https://framapad.org/, équivalent des documents partagés google;
Framadate : https://framadate.org/, équivalent de doodle (organiser des rendez-vous);
Framaforms : https://framaforms.org/, équivalent au google form qui permet de réaliser des questionnaires;
Framagenda : https://framagenda.org/, équivalent de google agenda;
Framacarte : https://framacarte.org/fr/, équivalent de google map pour la création de carte en ligne;
Framalistes : https://framalistes.org/, équivalent de google groups pour les listes de diffusions;
Framatalk : https://framatalk.org/accueil/, équivalent à skype;
Framadrive : https://framadrive.org/login, équivalent google drive;
Framadrop : https://framadrop.org/, équivalent à we-transfert;
Framabin : https://framabin.org/, qui permet de transmettre des messages chiffrés;
Framapic : https://framapic.org/, qui permet de partager des images de façon chiffrée;
Framalink : https://frama.link/, qui permet de raccourcir les URLs;
Framagit : https://framagit.org/public/projects, hébergement de projets de développement sous git;
Framasite : https://frama.site/, qui permet de créer des sites facilement;
Framawiki : https://frama.wiki/, qui permet de créer des wiki simplement.
Mais bien que ces alternatives soient louables et à soutenir, elles ont très peu de chances de grignoter suffisamment de terrain pour se substituer aux géants capitalistes du secteur [note : Comme plus généralement avec la question du logiciel libre4. Les économies d’échelles, le capital déjà accumulé et le profit issu de la concentration des informations personnelles en quantité gigantesques leur donnent une force et une longueur d’avance difficile à combattre par le seul « exemple ». Et les inquiétudes sur le respect de la vie privée, bien que répandues et utiles pour montrer l’ignominie de ces entreprises capitalistes, ne les empêchent pas de rester incontournables pour la plupart des internautes qui tendent à s’en remettre à l’option la plus hégémonique.  Cependant, ces alternatives, au même titre que les SCOP par exemple, permettent de démontrer qu’il existe des alternatives dans notre société, et que nous pouvons construire une autre société dans laquelle ces alternatives respectueuses de la vie privée seront la norme… à condition d’intervenir politiquement sur ce problème.
Démanteler Google ?
Face à cela, certains proposent le démantèlement, en application des lois anti-trusts, comme cela a déjà été fait aux États-Unis. L’exemple du démantèlement de la compagnie de télécommunication AT&T dans les années 1980 revient souvent.
Ce genre de mesures est toujours difficile à prendre étant donné le poids du lobbying des trusts en question sur les institutions des États. Les observateurs remarquent que contrairement au cas d’AT&T, aujourd’hui, les régulateurs aux États-Unis ne semblent pas prêts du tout à s’engager dans une telle démarche. Des décennies de néolibéralisme ont accentué le rapport de force des grands groupes, qui bénéficient par ailleurs d’une image souvent meilleure que les administrations dont l’interventionnisme est jugé nuisible.
Un autre facteur important est sans doute la capacité de Google à projeter (malgré ses frictions avec Washington) l’influence états-unienne dans le monde, bien plus que ne le faisait AT&T. L’administration US est certainement réticente à s’en prendre à un tel atout dans un contexte où la puissance économique des États-Unis est sur une pente déclinante.
Mais même dans le cas où un changement de rapport de force imposait aux régulateurs de prendre des mesures fortes, ce type de mesures ne pourrait sans doute qu’apporter des solutions superficielles. D’une part il s’agirait d’un rétro-pédalage ponctuel, au milieu du mouvement continu de la concentration du capital. D’autre part, dans le domaine d’internet où l’inter-opérabilité des services et les achats de données sont particulièrement faciles (et difficiles à surveiller), et donnent un avantage si net, des séparations formelles entre entités n’empêcheraient pas la concentration réelle.
Socialiser et «libérer» Google
Sur cette question comme sur tant d’autres, il est nécessaire de réaliser que la plupart des alternatives proposées restent prisonnières d’une vision capitaliste considérée implicitement comme indépassable : puisqu’il y aura toujours des capitalistes, il faut soit se considérer comme des pirates, soit comme des artisans de logiciels libres, soit comme des partisans de la régulation par les États, vus comme des gendarmes neutres face au marché. Et les régulateurs sont eux-mêmes convaincus des bienfaits du marché, par exemple le haut fonctionnaire Sébastien Soriano qui déclare : « On a oublié les vertus du marché et de la concurrence. On s’est habitués à vivre dans ce monde totalement monopolistique. Mais rien n’est écrit, il ne faut pas se décourager. Tout est possible si l’on s’attache à casser les effets de réseau et à redonner ses vertus à la décentralisation d’Internet et au pouvoir de la multitude. »5
En tant que communistes, nous défendons l’objectif d’exproprier et socialiser Google comme le reste des autres grandes entreprises. Cela permet de changer radicalement de point de vue : la concentration et les effets de réseaux ne sont un problème que du fait qu’ils conduisent à des oligopoles ou monopoles privés. Dans le cadre d’une société où la planification remplace la concurrence et où l’autogestion à tous les niveaux remplace la décision par les PDG et actionnaires, il devient possible de créer un modèle de grands services publics d’internet 100% libres. Le suivi de plus long terme du développement par les travailleur·se·s de ces structures pourrait être articulé à des formes de participations/propositions plus spontanées, et bien sûr à des décisions démocratiques de l’ensemble de la société sur tous les choix importants (garanties sur la vie privée, priorités de développement, réflexions sur les impacts sociaux des technologies…).

Par Lucas Battin et Julien Varlin

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