26 Juin 2018
Le monde moderne occidental s’est bâti sur la distinction nature/culture et sur la possibilité pour la seconde de progresser indéfiniment sur la première. Dans cette répartition des rôles, les plantes, les animaux, les territoires et les phénomènes « naturels » se voient subsumés sous un même concept et désignés comme des objets exploitables, des ressources. La protection de la nature, telle qu’elle est traditionnellement pensée en Occident, entérine cette distinction et ce mouvement. Lorsque, par exemple, on encercle un territoire par l’enceinte d’un parc naturel, on lui attribue par là même un statut d’objet et des fonctions (en l’occurrence des fonctions de contemplation et de récréation). Comme le montre Nastassja Martin dans les Âmes sauvages, la protection est l’autre facette, indissociable et interdépendante, de l’exploitation : protéger, c’est encore dominer. Aujourd’hui, pour sortir de l’impasse où s’est engagée la modernité occidentale, il semble bien qu’il faille aller plus loin et, comme le préconise Philippe Descola, apprendre à penser « par-delà nature et culture ».
Se défaire d’une distinction aussi centrale dans la façon dont nous nous sommes habitués à composer le monde n’est pas simple. Cela oblige à accepter de laisser partir avec elle un certain nombre de notions qui la maintiennent en place : la façon dont nous concevons le travail, l’importance que nous accordons à l’appropriation privée ou encore notre idée du progrès. Sur ce dernier point, l’usure de notre concept se fait sentir de façon de plus en plus quotidienne. Jusqu’à récemment, tout ce qui permettait d’accroître notre domination de la nature (fût-ce en la protégeant) était conçu comme un progrès. Aujourd’hui, il devient de plus en plus flagrant que ce mouvement de conquête ne saurait être éternel. Malgré ce que veulent nous faire croire nos dirigeants, il devient clair que chercher à le poursuivre coûte que coûte génère nettement plus de souffrance que de bien-être. Repérer la direction désignée par la flèche du progrès devient donc plus délicat. Sur de nombreux sujets, il est de plus en plus fréquent de se sentir désorienté, de ne plus savoir quelle position adopter pour paraître progressiste, ou du moins pour ne pas être taxé de conservatisme. Comme l’explique Bruno Latour dans Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, il est urgent de renouveler nos critères, de définir de nouvelles balises pour s’orienter.
Dans cette nécessaire révolution cosmologique qui s’annonce, les Zad sont des laboratoires d’avant-garde, où notre concept moderne de nature commence à se dissoudre. Les relations avec les plantes et les animaux, qu’ils soient domestiques, sauvages ou quelque part entre les deux, y sont davantage vécues comme des interactions sociales que comme l’utilisation de ressources. Aussi, les questions sociales ne sont-elles plus séparables, et encore moins opposables, aux questions environnementales : les unes se fondent dans les autres pour être reposées sous une forme nouvelle, existentielle, directement liée à la façon dont on souhaite habiter un territoire donné, que l’on partage avec une foule bigarrée de non-humains. La mise en commun prend le pas sur l’appropriation privée et les liens variés et changeants, des plus concrets aux plus métaphoriques, qui se tissent entre les différentes facettes de chaque être, humain et non humain, se retrouvent au centre de l’attention.
Comme l’explique Bruno Latour, nos dirigeants ont tout intérêt à entretenir l’illusion d’après laquelle la conquête de la nature pourra se prolonger indéfiniment, la croissance et le progrès nous mener vers une mondialisation généreuse dont les bénéfices seront répartis entre tous. L’invention du climatoscepticisme n’est que l’ingrédient le plus grotesque de cette stratégie de mystification (la croissance verte en est une version plus subtile). La menace idéologique que représentent les Zad pour les projets de nos dirigeants explique sans doute les 2.500 gendarmes mobiles envoyés ces dernières semaines saccager le bocage de Notre-Dame-des-Landes et le refus catégorique de toute gestion collective, même légale.
Par Alessandro Pignocchi (le 14 mai 2018)
A lire sur le site Reporterre
Se défaire d’une distinction aussi centrale dans la façon dont nous nous sommes habitués à composer le monde n’est pas simple. Cela oblige à accepter de laisser partir avec elle un certain nombre de notions qui la maintiennent en place : la façon dont nous concevons le travail, l’importance que nous accordons à l’appropriation privée ou encore notre idée du progrès. Sur ce dernier point, l’usure de notre concept se fait sentir de façon de plus en plus quotidienne. Jusqu’à récemment, tout ce qui permettait d’accroître notre domination de la nature (fût-ce en la protégeant) était conçu comme un progrès. Aujourd’hui, il devient de plus en plus flagrant que ce mouvement de conquête ne saurait être éternel. Malgré ce que veulent nous faire croire nos dirigeants, il devient clair que chercher à le poursuivre coûte que coûte génère nettement plus de souffrance que de bien-être. Repérer la direction désignée par la flèche du progrès devient donc plus délicat. Sur de nombreux sujets, il est de plus en plus fréquent de se sentir désorienté, de ne plus savoir quelle position adopter pour paraître progressiste, ou du moins pour ne pas être taxé de conservatisme. Comme l’explique Bruno Latour dans Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, il est urgent de renouveler nos critères, de définir de nouvelles balises pour s’orienter.
Dans cette nécessaire révolution cosmologique qui s’annonce, les Zad sont des laboratoires d’avant-garde, où notre concept moderne de nature commence à se dissoudre. Les relations avec les plantes et les animaux, qu’ils soient domestiques, sauvages ou quelque part entre les deux, y sont davantage vécues comme des interactions sociales que comme l’utilisation de ressources. Aussi, les questions sociales ne sont-elles plus séparables, et encore moins opposables, aux questions environnementales : les unes se fondent dans les autres pour être reposées sous une forme nouvelle, existentielle, directement liée à la façon dont on souhaite habiter un territoire donné, que l’on partage avec une foule bigarrée de non-humains. La mise en commun prend le pas sur l’appropriation privée et les liens variés et changeants, des plus concrets aux plus métaphoriques, qui se tissent entre les différentes facettes de chaque être, humain et non humain, se retrouvent au centre de l’attention.
Comme l’explique Bruno Latour, nos dirigeants ont tout intérêt à entretenir l’illusion d’après laquelle la conquête de la nature pourra se prolonger indéfiniment, la croissance et le progrès nous mener vers une mondialisation généreuse dont les bénéfices seront répartis entre tous. L’invention du climatoscepticisme n’est que l’ingrédient le plus grotesque de cette stratégie de mystification (la croissance verte en est une version plus subtile). La menace idéologique que représentent les Zad pour les projets de nos dirigeants explique sans doute les 2.500 gendarmes mobiles envoyés ces dernières semaines saccager le bocage de Notre-Dame-des-Landes et le refus catégorique de toute gestion collective, même légale.
Par Alessandro Pignocchi (le 14 mai 2018)
A lire sur le site Reporterre