16 Sept 2020
L’économiste Dany Lang, maître de conférences en économie à l’université Paris-XIII, analyse les mesures de relance mises en place à travers la planète et esquisse des pistes alternatives de sortie de crise.
Les pays riches affirment avoir pris la mesure de la crise : le G20 promet d’injecter plus de 5 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale dans le cadre de plans de relance. Une bonne chose, selon vous ?
Dany Lang Il reste à savoir dans quelle mesure ces plans seront ciblés. Si le but est d’arroser l’économie sans discernement, de socialiser les pertes et privatiser les profits, cela ne servira à rien. Par ailleurs, j’ai l’impression que ces mesures sont extrêmement restrictives. Ma crainte, c’est qu’elles bénéficient pour l’essentiel aux grands groupes mondialisés, plutôt qu’aux entreprises qui en ont réellement besoin : quand vous voyez les critères drastiques que l’on impose aux PME, en France, pour bénéficier du fonds de solidarité, le risque est réel.
La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé un plan massif de rachat d’actifs (750 milliards d’euros), destiné à soutenir l’activité de la zone euro. Est-ce suffisant ?
Dany Lang Ce qui est sûr, c’est que les banques centrales font ce qu’elles peuvent, dans le cadre de leur mandat. Ceci dit, cela fait dix ans (depuis la crise de 2008) qu’elles inondent les marchés de liquidités. On voit toutes les limites de cette politique purement monétaire, qui n’a jamais permis à la machine économique de redémarrer.
Que faire ?
Dany Lang Il faut profiter de la crise pour tout arrêter et réfléchir au jour d’après. Si les mesures prises aujourd’hui ne visent qu’à pouvoir continuer comme avant, alors elles n’auront servi à rien. Il est temps de revenir sur le mandat de la BCE, qui prévoit la maîtrise de l’inflation avant le soutien à l’activité. Il faut y intégrer d’autres préoccupations, comme le développement d’emplois dans des secteurs utiles, en lien avec la transition écologique. Il faut par ailleurs permettre à la Banque centrale de racheter de la dette publique sur le marché primaire (dès l’émission des titres de dette – NDLR), afin de libérer les contraintes pesant sur les États. Mais il appartient surtout aux gouvernements de tirer les leçons de cette crise.
C’est-à-dire ?
Dany Lang Un certain nombre de secteurs d’utilité publique devrait être socialisés – je ne dis pas nationalisés : la socialisation implique d’associer l’ensemble des parties prenantes à la gestion des secteurs en question, c’est-à-dire les syndicats, les consommateurs/usagers, les collectivités locales, etc. Je pense notamment au secteur bancaire, ne serait-ce que pour obliger les banques à revenir à leur cœur de métier : la collecte de l’épargne et l’octroi de crédits. Il faut par ailleurs rebâtir les secteurs dont la crise révèle la fragilité. Je pense aux hôpitaux, à nos infrastructures de santé, à notre industrie du médicament. On a vu tous les problèmes posés par cette politique de délocalisation pratiquée depuis trente ans (masques, médicaments, etc.). Il est temps de passer à la relocalisation des industries stratégiques. Dans le même ordre idée, il faudra mettre en place des circuits courts alimentaires. Il est absurde, dans un contexte de réchauffement climatique, de consommer des tomates produites à plusieurs milliers de kilomètres. J’insiste d’ailleurs sur la dimension écologique de la crise actuelle : des chercheurs ont montré l’impact de la crise environnementale sur la multiplication des maladies infectieuses. La mondialisation des échanges doit être entièrement repensée, puisque c’est bien elle qui a accéléré la diffusion de la pandémie.
Par Cyprien Boganda (publié le 30/03/2020)
A lire sur le site l'Humanité
Les pays riches affirment avoir pris la mesure de la crise : le G20 promet d’injecter plus de 5 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale dans le cadre de plans de relance. Une bonne chose, selon vous ?
Dany Lang Il reste à savoir dans quelle mesure ces plans seront ciblés. Si le but est d’arroser l’économie sans discernement, de socialiser les pertes et privatiser les profits, cela ne servira à rien. Par ailleurs, j’ai l’impression que ces mesures sont extrêmement restrictives. Ma crainte, c’est qu’elles bénéficient pour l’essentiel aux grands groupes mondialisés, plutôt qu’aux entreprises qui en ont réellement besoin : quand vous voyez les critères drastiques que l’on impose aux PME, en France, pour bénéficier du fonds de solidarité, le risque est réel.
La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé un plan massif de rachat d’actifs (750 milliards d’euros), destiné à soutenir l’activité de la zone euro. Est-ce suffisant ?
Dany Lang Ce qui est sûr, c’est que les banques centrales font ce qu’elles peuvent, dans le cadre de leur mandat. Ceci dit, cela fait dix ans (depuis la crise de 2008) qu’elles inondent les marchés de liquidités. On voit toutes les limites de cette politique purement monétaire, qui n’a jamais permis à la machine économique de redémarrer.
Que faire ?
Dany Lang Il faut profiter de la crise pour tout arrêter et réfléchir au jour d’après. Si les mesures prises aujourd’hui ne visent qu’à pouvoir continuer comme avant, alors elles n’auront servi à rien. Il est temps de revenir sur le mandat de la BCE, qui prévoit la maîtrise de l’inflation avant le soutien à l’activité. Il faut y intégrer d’autres préoccupations, comme le développement d’emplois dans des secteurs utiles, en lien avec la transition écologique. Il faut par ailleurs permettre à la Banque centrale de racheter de la dette publique sur le marché primaire (dès l’émission des titres de dette – NDLR), afin de libérer les contraintes pesant sur les États. Mais il appartient surtout aux gouvernements de tirer les leçons de cette crise.
C’est-à-dire ?
Dany Lang Un certain nombre de secteurs d’utilité publique devrait être socialisés – je ne dis pas nationalisés : la socialisation implique d’associer l’ensemble des parties prenantes à la gestion des secteurs en question, c’est-à-dire les syndicats, les consommateurs/usagers, les collectivités locales, etc. Je pense notamment au secteur bancaire, ne serait-ce que pour obliger les banques à revenir à leur cœur de métier : la collecte de l’épargne et l’octroi de crédits. Il faut par ailleurs rebâtir les secteurs dont la crise révèle la fragilité. Je pense aux hôpitaux, à nos infrastructures de santé, à notre industrie du médicament. On a vu tous les problèmes posés par cette politique de délocalisation pratiquée depuis trente ans (masques, médicaments, etc.). Il est temps de passer à la relocalisation des industries stratégiques. Dans le même ordre idée, il faudra mettre en place des circuits courts alimentaires. Il est absurde, dans un contexte de réchauffement climatique, de consommer des tomates produites à plusieurs milliers de kilomètres. J’insiste d’ailleurs sur la dimension écologique de la crise actuelle : des chercheurs ont montré l’impact de la crise environnementale sur la multiplication des maladies infectieuses. La mondialisation des échanges doit être entièrement repensée, puisque c’est bien elle qui a accéléré la diffusion de la pandémie.
Par Cyprien Boganda (publié le 30/03/2020)
A lire sur le site l'Humanité