05 Juin 2021
La prise en compte du coût des matières premières agricoles doit devenir « non négociable » dans la fixation des prix entre agriculteurs, industriels et distributeurs, plaide l’ancien patron de Système U Serge Papin dans un rapport qui appelle à une nouvelle loi.
Serge Papin veut rendre « obligatoire » la signature d’un contrat pluriannuel entre l’agriculteur et l’industriel. (©Pixabay)Il faut « mettre en place les conditions d’un sursaut collectif », écrit Serge Papin dans ce rapport à destination de Julien Denormandie et Agnès Pannier-Runacher, respectivement ministre de l’agriculture et ministre déléguée à l’industrie, et que l’AFP a pu consulter mercredi.Sa principale recommandation, après avoir auditionné « plus de soixante parties prenantes », consiste à rendre « obligatoire » la signature d’un contrat pluriannuel entre l’agriculteur et l’industriel qui va transformer ses produits (entreprise de meunerie, boulangerie, charcuterie…) Ce contrat doit être établi sur la base d’« indicateurs de prix de référence » pour tenir compte des coûts de production. Il doit aussi prévoir « des clauses mécaniques d’indexation du prix basées sur la hausse ou la baisse des intrants [engrais, aliment du bétail, carburant…] qui ont un impact sur le prix de la matière première agricole ». En aval, au moment de la négociation entre l’industriel et la distribution, « la quote-part du prix de la matière première agricole doit figurer comme un élément non négociable », estime M. Papin.
Aujourd’hui, de facto, le prix des denrées alimentaires est fixé par les négociations entre les distributeurs et les industriels – indépendamment de ce que les agriculteurs demandent, conduisant nombre d’entre eux à vendre à perte, en particulier dans l’élevage. « Les plus forts et les mieux organisés, en l’occurrence la grande distribution et les grandes entreprises, sont les gagnants du système actuel », relève l’ancien patron de supermarchés, tandis que « les agriculteurs, moins bien organisés et moins bien équipés pour la négociation, sont le maillon faible de la filière ».
« Jeu mortifère »
Serge Papin, qui en fait une question de « souveraineté alimentaire de la France », avait été missionné début octobre pour trouver les moyens d’« aller plus loin » que la loi Alimentation (ou Egalim), votée en 2018 et qui n’avait pas tenu ses promesses de rééquilibrer le rapport de forces au bénéfice des agriculteurs. Il juge « probable que cette recommandation phare nécessite de repasser par la loi » et estime qu’« il faut tenter d’aller vite car les attentes sont élevées ».
Dans le quotidien Les Échos mercredi, le ministre de l’agriculture Julien Denormandie affirme mener des discussions avec les parlementaires pour que ces recommandations « soient suivies d’effet ». Lors de la séance de questions au gouvernement au Sénat, il a assuré vouloir « faire bouger les lignes » pour cesser ce « jeu mortifère », ce « jeu de dupes » des négociations commerciales annuelles. Avec Mme Pannier-Runacher, Julien Denormandie a réuni mercredi soir les acteurs de la chaîne alimentaire par visioconférence, un mois après la clôture de ces négociations. « Il y a une conviction partagée par tous qu’on ne peut pas rester dans l’opposition permanente », ont commenté à l’issue les cabinets des ministres. Selon un « premier ressenti », les négociations se sont globalement conclues par des « avancées positives » pour les produits à forte composante agricole, a-t-on indiqué de même source, en se demandant toutefois si ces revalorisations seraient « à la hauteur ». Les éleveurs en particulier voient leurs coûts de production flamber avec l’envolée du prix des céréales entrant dans la ration des animaux.
Dans un communiqué mercredi, les syndicats agricoles FNSEA et Jeunes agriculteurs demandent une « obligation légale pour tenir les négociations de l’amont avant celles de l’aval » : « Comment le prix peut-il se construire du producteur vers le distributeur lorsque les négociations de l’aval () précèdent celles de l’amont () ? » M. Papin préconise en outre « d’identifier systématiquement l’origine France des ingrédients et des produits, y compris en restauration collective pour favoriser le patriotisme agricole ». « C’est une cause importante à défendre au niveau européen et il ne faut pas lâcher sur ce sujet », affirme-t-il. Il encourage par ailleurs les agriculteurs à « se regrouper » pour renforcer leur position dans les négociations, en particulier les producteurs de viande bovine.
Par Terre-net (publié le 25/03/2021)
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