02 Déc 2021
La compagnie belge Adoc raconte le monde agricole par le théâtre. Dix ans après une première œuvre, « Nourrir l’Humanité c’est un métier », l’équipe remonte sur les planches pour présenter la suite de l’épopée de celles et ceux qui nous nourrissent.
Derrière les aliments que nous consommons, il y a des vies de femmes et d’hommes, éperdument amoureux du vivant. C’était l’un des messages de la pièce Nourrir l’Humanité, c’est un métier, que la compagnie belge Adoc a créée il y a dix ans, au lendemain de la crise du lait. Pour le nouveau spectacle de la compagnie, Nourrir l’humanité Acte 2, réalisé par Alexis Garcia, les comédiens Charles Culot avec en alternance Julie Remacle ou Sarah Testa ont procédé à une enquête documentaire, rencontré des personnes, écouté leurs histoires [1].
Sur scène, ils rapportent leurs mots, nous donnent à voir leurs gestes et leurs silences. Et cette réalité instantanée instruit autant qu’elle émeut, profondément. Aujourd’hui, si le modèle dominant reste celui de l’agriculture intensive, Charles Culot, comédien, fils et frère d’agriculteurs, note que de nombreuses personnes font le choix de produire autrement. Et que ces alternatives prennent des visages multiples : agroforesterie, circuits courts, agroécologie, permaculture…
Deux chaises, une table de cuisine, deux ballots de foin et une lampe. La scénographie est épurée pour laisser toute la place à la parole. De temps à autre, des écrans de télévision s’allument pour diffuser un témoignage direct. Dans l’un d’eux, Philippe Duvivier, président de la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs, se tourne vers la caméra : « Les syndicats ne nous soutiennent plus mais représentent l’industrie agroalimentaire ! » Le reste du temps, ce sont les acteurs qui théâtralisent la parole et imaginent quelques scènes comme un bal sur l’air de Claude François, La ferme du bonheur.
« Le monde agricole, c’est comme le visage d’une société. Ce qui s’y passe touchera quatre cinq ans plus tard le reste de la société », déclare Charles Culot. Individualisme, compétitivité, productivisme : les « maux » présentés sont loin d’être cantonnés au seul secteur agricole. Parmi les difficultés rapportées, il y a d’abord la sensation de travailler sans répit. Puis, celle de ne pas compter : « Celui qui y gagne, c’est toujours le commerçant, jamais le producteur. » Il y a aussi l’isolement dans les fermes, le surendettement ou bien les maladies liées aux pesticides. Un témoignage sur la transformation du métier fuse : « Tout doit être justifié administrativement, t’as toujours peur de pas être en ordre. » Jusqu’à la description glaçante d’un système déshumanisé à grande échelle : « On te donne quelque chose à condition que tu bouffes ton voisin. Il y a la prime à l’hectare, à l’animal, et puis c’est la fuite en avant. »
Mais il y a aussi toutes les trajectoires porteuses d’espoir : ce couple qui, du jour au lendemain, a décidé de ne plus utiliser d’engrais ou bien cette femme qui a « commencé comme ça les mains dans la terre » et pour qui ça a été « une libération ». En 1 h 25, tous les sujets liés à la transition agricole sont abordés et le spectateur ressort chargé d’une énergie folle.
Témoignages et engagements
Si la compagnie Adoc souhaite ainsi donner la parole aux invisibles, elle veut aussi s’engager. Chaque pièce est réalisée avec des associations dans un but pédagogique pour, selon les mots de la compagnie, « inciter les spectateurs à imaginer un autre monde ». Et si l’on s’en tient à l’un des derniers témoignages, il y a urgence. Car « dans quelques années, trois quarts des agriculteurs auront plus de 55 ans, tout le monde va être retraité en même temps, il va y avoir plein de fermes à remettre et peut-être pas de repreneurs… » D’autant plus, que le prix de l’hectare en Belgique a atteint plus de 50 000 euros au 1ᵉʳ semestre 2021 selon le baromètre belge des terres agricoles. En l’absence d’acteurs de régulation, tels que la Safer en France, le prix des terres le long de la frontière est quatre fois plus élevé en Belgique qu’en France. Et de plus en plus de terres sont achetées par des grands groupes.
Après 47 représentations à Bruxelles, Nourrir l’humanité Acte 2 sera joué du 13 au 21 novembre 2021 pour le Festival PIVO dans le Val d’Oise. Et au mois de juin 2022, la compagnie partira pour une tournée-camion au long des routes de France [2]. Un long périple qui pourra tenter celles et ceux désireux d’engager cette transition agricole.
Par Marie Geredakis (publié le 18/11/2021)
A lire sur le site Reporterre
Derrière les aliments que nous consommons, il y a des vies de femmes et d’hommes, éperdument amoureux du vivant. C’était l’un des messages de la pièce Nourrir l’Humanité, c’est un métier, que la compagnie belge Adoc a créée il y a dix ans, au lendemain de la crise du lait. Pour le nouveau spectacle de la compagnie, Nourrir l’humanité Acte 2, réalisé par Alexis Garcia, les comédiens Charles Culot avec en alternance Julie Remacle ou Sarah Testa ont procédé à une enquête documentaire, rencontré des personnes, écouté leurs histoires [1].
Sur scène, ils rapportent leurs mots, nous donnent à voir leurs gestes et leurs silences. Et cette réalité instantanée instruit autant qu’elle émeut, profondément. Aujourd’hui, si le modèle dominant reste celui de l’agriculture intensive, Charles Culot, comédien, fils et frère d’agriculteurs, note que de nombreuses personnes font le choix de produire autrement. Et que ces alternatives prennent des visages multiples : agroforesterie, circuits courts, agroécologie, permaculture…
Deux chaises, une table de cuisine, deux ballots de foin et une lampe. La scénographie est épurée pour laisser toute la place à la parole. De temps à autre, des écrans de télévision s’allument pour diffuser un témoignage direct. Dans l’un d’eux, Philippe Duvivier, président de la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs, se tourne vers la caméra : « Les syndicats ne nous soutiennent plus mais représentent l’industrie agroalimentaire ! » Le reste du temps, ce sont les acteurs qui théâtralisent la parole et imaginent quelques scènes comme un bal sur l’air de Claude François, La ferme du bonheur.
« Le monde agricole, c’est comme le visage d’une société. Ce qui s’y passe touchera quatre cinq ans plus tard le reste de la société », déclare Charles Culot. Individualisme, compétitivité, productivisme : les « maux » présentés sont loin d’être cantonnés au seul secteur agricole. Parmi les difficultés rapportées, il y a d’abord la sensation de travailler sans répit. Puis, celle de ne pas compter : « Celui qui y gagne, c’est toujours le commerçant, jamais le producteur. » Il y a aussi l’isolement dans les fermes, le surendettement ou bien les maladies liées aux pesticides. Un témoignage sur la transformation du métier fuse : « Tout doit être justifié administrativement, t’as toujours peur de pas être en ordre. » Jusqu’à la description glaçante d’un système déshumanisé à grande échelle : « On te donne quelque chose à condition que tu bouffes ton voisin. Il y a la prime à l’hectare, à l’animal, et puis c’est la fuite en avant. »
Mais il y a aussi toutes les trajectoires porteuses d’espoir : ce couple qui, du jour au lendemain, a décidé de ne plus utiliser d’engrais ou bien cette femme qui a « commencé comme ça les mains dans la terre » et pour qui ça a été « une libération ». En 1 h 25, tous les sujets liés à la transition agricole sont abordés et le spectateur ressort chargé d’une énergie folle.
Témoignages et engagements
Si la compagnie Adoc souhaite ainsi donner la parole aux invisibles, elle veut aussi s’engager. Chaque pièce est réalisée avec des associations dans un but pédagogique pour, selon les mots de la compagnie, « inciter les spectateurs à imaginer un autre monde ». Et si l’on s’en tient à l’un des derniers témoignages, il y a urgence. Car « dans quelques années, trois quarts des agriculteurs auront plus de 55 ans, tout le monde va être retraité en même temps, il va y avoir plein de fermes à remettre et peut-être pas de repreneurs… » D’autant plus, que le prix de l’hectare en Belgique a atteint plus de 50 000 euros au 1ᵉʳ semestre 2021 selon le baromètre belge des terres agricoles. En l’absence d’acteurs de régulation, tels que la Safer en France, le prix des terres le long de la frontière est quatre fois plus élevé en Belgique qu’en France. Et de plus en plus de terres sont achetées par des grands groupes.
Après 47 représentations à Bruxelles, Nourrir l’humanité Acte 2 sera joué du 13 au 21 novembre 2021 pour le Festival PIVO dans le Val d’Oise. Et au mois de juin 2022, la compagnie partira pour une tournée-camion au long des routes de France [2]. Un long périple qui pourra tenter celles et ceux désireux d’engager cette transition agricole.
Par Marie Geredakis (publié le 18/11/2021)
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