13 Mar 2019
Bien qu’elle soit inscrite depuis près de 40 ans dans de nombreuses constitutions et autres textes fondamentaux ou législatifs, comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’égalité salariale entre les hommes et les femmes reste une illusion. Notre pays aurait tout intérêt à combler cette lacune, pour des raisons éthiques mais aussi économiques.
En Europe ou aux États-Unis, à travail et responsabilités égales, les femmes sont encore payées entre 10 % et 30 % de moins que les hommes. Au Sud, la situation est encore bien pire. Dans un rapport de 2016, l’ONG ActionAid France estimait que la différence annuelle des inégalités de genre au travail pour les pays du Sud s’élevait à plus de 8.000 milliards d’euros, soit un montant supérieur aux PIB combinés de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne (1).
Et ce montant ne tient pas compte du travail non rémunéré de care, que l’on nomme aussi travail reproductif, à savoir les travaux domestiques, l’éducation, les soins aux personnes dépendantes et âgées, etc. Or, c’est un fait que l’on oublie souvent : une grande partie de ce travail repose encore aujourd’hui sur les femmes et n’est pas rémunéré. Une étude de l’Insee a montré qu’en 2010 en France, le temps de travail domestique annuel équivalait à 60 milliards d’heures, soit le même nombre d’heures que le temps de travail rémunéré (2). Les Nations Unies ont calculé que cette contribution à la richesse mondiale, énorme mais invisible des femmes, s’élève à environ la moitié du PIB mondial ! Le slogan choisi cette année pour le 8 mars, « Si les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête », est donc des plus appropriés.
De plus, il faut ajouter que les inégalités de genre dans le travail comportent d’autres dimensions : le travail des femmes reste généralement confiné dans les emplois les moins rémunérés, les plus ingrats, les moins qualifiés et les plus précaires. Fréquemment, elles n’obtiennent que des temps partiels, alors qu’elles souhaiteraient travailler à temps plein. De plus, les femmes restent souvent reléguées au bas de l’échelle hiérarchique. C’est ce qu’on appelle le « plafond de verre ».
Cinq minutes de courage politique ?
Depuis le 1er janvier 2018, l’Islande est devenu le premier pays au monde où les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes sont punissables par la loi. Cette nouvelle loi concerne toutes les entreprises, privées et publiques, employant au minimum 25 personnes. Elle est intéressante à deux niveaux. Premièrement, la charge de la preuve est inversée, c’est-à-dire que ce n’est plus aux travailleuses de prouver la discrimination qu’elles subissent, mais aux entreprises de démontrer que, s’il y a un écart de salaire, le genre n’a rien à voir là-dedans. Deuxièmement, les entreprises qui ne respectent pas la loi se verront infliger une amende de 400 euros par jour. Et si nos représentants politiques n’attendaient pas le 26 mai et prenaient 5 minutes de courage politique pour faire passer une loi identique ?
La question de la sanction est fondamentale ici. Il est insuffisant et illusoire de se satisfaire d’engagements volontaires non obligatoires, basés sur la confiance dans la bonne foi et le bon vouloir des grands acteurs économiques. Il faut veiller à mettre en place des outils efficaces de contrôle et de sanction pour rendre effective l’égalité salariale et obliger ainsi toutes les entreprises à la respecter. En effet, comment espérer que toutes les entreprises appliquent cette loi si elles savent pertinemment qu’elles resteront impunies si elles ne le font pas.
Imposer l’égalité salariale pour assainir les finances publiques ?
En 2015 en Belgique, un rapport réalisé conjointement par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, le SPF Economie et le Bureau fédéral du Plan calculait que le salaire horaire brut des femmes était inférieur de 2,43 € à celui des hommes. La moitié de cet écart s’explique par de nombreux facteurs : le secteur d’activité, la profession, le contrat ou encore l’expérience. Ces facteurs ne sont pas illégaux mais ne sont pas pour autant légitimes comme par exemple la dévalorisation salariale dans des secteurs d’activité qui sont majoritairement occupés par des femmes. Dans tous les cas, l’autre moitié de cet écart peut être considérée comme une discrimination à l’égard des femmes.
Dans un article datant également de 2015, l’économiste Olivier Derruine a calculé « ce qui se passerait si, du jour au lendemain, chaque travailleur était rémunéré de manière égale pour un même travail, quel que soit son sexe, sans modifier la structure du marché du travail belge, (…) et donc en appliquant uniquement une correction du salaire horaire brut des femmes sur la partie dite “inexpliquée” de l’écart salarial. Il en ressort que l’ensemble des travailleuses devrait alors percevoir un revenu supplémentaire de 3,6 milliards d’euros par an, soit environ 1 % du PIB. » (3). Il poursuit : « en appliquant un taux de prélèvement d’environ 30 % pour avoir une estimation (grossière) des recettes fiscales additionnelles qu’une plus grande égalité salariale entre les sexes amènerait, on arrive à 1,1 milliard. Si l’on rapporte ce montant à l’ensemble de la législature, cela fait près de 5,4 milliards, soit à peu près 1/3 des 17 milliards d’euros d’économies budgétaires envisagés par le gouvernement Michel. »
Poursuivre la mobilisation
La conclusion est à la fois évidente et très intéressante : faire respecter la loi pourrait jouer un rôle très utile quant à l’amélioration des finances publiques, l’amélioration du pouvoir d’achat, et donc aussi quant à la relance de l’activité économique. A l’inverse, maintenir l’écart salarial constitue un frein pour notre économie et notre sécurité sociale.
Si la question de l’égalité salariale est loin d’être le seul enjeu des luttes féministes, dans tous les cas, les femmes ont toujours toutes les meilleures raisons du monde de continuer à se mobiliser pour que nos représentants politiques et toute la société se saisissent de la question féministe pour transformer les rapports de genre et bâtir une société où le respect et l’égalité entre tous les êtres humains deviennent la règle.
(1) «Le grand écart : le coût des inégalités de genre au travail », ActionAid France-Peuples Solidaires, septembre 2016.
(2) « le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010 », Insee
(3) « Respecter les travailleuses pour relancer l’économie », Par Olivier Derruine, Observatoire des inégalités, 22juin 2015
Par Olivier Bonfond (publié le 08/03/2019)
A lire sur le site Le Soir
En Europe ou aux États-Unis, à travail et responsabilités égales, les femmes sont encore payées entre 10 % et 30 % de moins que les hommes. Au Sud, la situation est encore bien pire. Dans un rapport de 2016, l’ONG ActionAid France estimait que la différence annuelle des inégalités de genre au travail pour les pays du Sud s’élevait à plus de 8.000 milliards d’euros, soit un montant supérieur aux PIB combinés de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne (1).
Et ce montant ne tient pas compte du travail non rémunéré de care, que l’on nomme aussi travail reproductif, à savoir les travaux domestiques, l’éducation, les soins aux personnes dépendantes et âgées, etc. Or, c’est un fait que l’on oublie souvent : une grande partie de ce travail repose encore aujourd’hui sur les femmes et n’est pas rémunéré. Une étude de l’Insee a montré qu’en 2010 en France, le temps de travail domestique annuel équivalait à 60 milliards d’heures, soit le même nombre d’heures que le temps de travail rémunéré (2). Les Nations Unies ont calculé que cette contribution à la richesse mondiale, énorme mais invisible des femmes, s’élève à environ la moitié du PIB mondial ! Le slogan choisi cette année pour le 8 mars, « Si les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête », est donc des plus appropriés.
De plus, il faut ajouter que les inégalités de genre dans le travail comportent d’autres dimensions : le travail des femmes reste généralement confiné dans les emplois les moins rémunérés, les plus ingrats, les moins qualifiés et les plus précaires. Fréquemment, elles n’obtiennent que des temps partiels, alors qu’elles souhaiteraient travailler à temps plein. De plus, les femmes restent souvent reléguées au bas de l’échelle hiérarchique. C’est ce qu’on appelle le « plafond de verre ».
Cinq minutes de courage politique ?
Depuis le 1er janvier 2018, l’Islande est devenu le premier pays au monde où les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes sont punissables par la loi. Cette nouvelle loi concerne toutes les entreprises, privées et publiques, employant au minimum 25 personnes. Elle est intéressante à deux niveaux. Premièrement, la charge de la preuve est inversée, c’est-à-dire que ce n’est plus aux travailleuses de prouver la discrimination qu’elles subissent, mais aux entreprises de démontrer que, s’il y a un écart de salaire, le genre n’a rien à voir là-dedans. Deuxièmement, les entreprises qui ne respectent pas la loi se verront infliger une amende de 400 euros par jour. Et si nos représentants politiques n’attendaient pas le 26 mai et prenaient 5 minutes de courage politique pour faire passer une loi identique ?
La question de la sanction est fondamentale ici. Il est insuffisant et illusoire de se satisfaire d’engagements volontaires non obligatoires, basés sur la confiance dans la bonne foi et le bon vouloir des grands acteurs économiques. Il faut veiller à mettre en place des outils efficaces de contrôle et de sanction pour rendre effective l’égalité salariale et obliger ainsi toutes les entreprises à la respecter. En effet, comment espérer que toutes les entreprises appliquent cette loi si elles savent pertinemment qu’elles resteront impunies si elles ne le font pas.
Imposer l’égalité salariale pour assainir les finances publiques ?
En 2015 en Belgique, un rapport réalisé conjointement par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, le SPF Economie et le Bureau fédéral du Plan calculait que le salaire horaire brut des femmes était inférieur de 2,43 € à celui des hommes. La moitié de cet écart s’explique par de nombreux facteurs : le secteur d’activité, la profession, le contrat ou encore l’expérience. Ces facteurs ne sont pas illégaux mais ne sont pas pour autant légitimes comme par exemple la dévalorisation salariale dans des secteurs d’activité qui sont majoritairement occupés par des femmes. Dans tous les cas, l’autre moitié de cet écart peut être considérée comme une discrimination à l’égard des femmes.
Dans un article datant également de 2015, l’économiste Olivier Derruine a calculé « ce qui se passerait si, du jour au lendemain, chaque travailleur était rémunéré de manière égale pour un même travail, quel que soit son sexe, sans modifier la structure du marché du travail belge, (…) et donc en appliquant uniquement une correction du salaire horaire brut des femmes sur la partie dite “inexpliquée” de l’écart salarial. Il en ressort que l’ensemble des travailleuses devrait alors percevoir un revenu supplémentaire de 3,6 milliards d’euros par an, soit environ 1 % du PIB. » (3). Il poursuit : « en appliquant un taux de prélèvement d’environ 30 % pour avoir une estimation (grossière) des recettes fiscales additionnelles qu’une plus grande égalité salariale entre les sexes amènerait, on arrive à 1,1 milliard. Si l’on rapporte ce montant à l’ensemble de la législature, cela fait près de 5,4 milliards, soit à peu près 1/3 des 17 milliards d’euros d’économies budgétaires envisagés par le gouvernement Michel. »
Poursuivre la mobilisation
La conclusion est à la fois évidente et très intéressante : faire respecter la loi pourrait jouer un rôle très utile quant à l’amélioration des finances publiques, l’amélioration du pouvoir d’achat, et donc aussi quant à la relance de l’activité économique. A l’inverse, maintenir l’écart salarial constitue un frein pour notre économie et notre sécurité sociale.
Si la question de l’égalité salariale est loin d’être le seul enjeu des luttes féministes, dans tous les cas, les femmes ont toujours toutes les meilleures raisons du monde de continuer à se mobiliser pour que nos représentants politiques et toute la société se saisissent de la question féministe pour transformer les rapports de genre et bâtir une société où le respect et l’égalité entre tous les êtres humains deviennent la règle.
(1) «Le grand écart : le coût des inégalités de genre au travail », ActionAid France-Peuples Solidaires, septembre 2016.
(2) « le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010 », Insee
(3) « Respecter les travailleuses pour relancer l’économie », Par Olivier Derruine, Observatoire des inégalités, 22juin 2015
Par Olivier Bonfond (publié le 08/03/2019)
A lire sur le site Le Soir