Faire reculer Amazon ! En Pologne les travailleur·euse·s s’organisent
Depuis l’arrivée d’Amazon en Pologne en 2014, le pays est un laboratoire pour la stratégie de l’entreprise qui consiste à monter les travailleur·euse·s de différentes nations les un·es contre les autres. Nous nous sommes entretenues avec des militantes ouvrières polonaises qui organisent les travailleur·euse·s d’Amazon pour une riposte mondiale.

Bien qu’Amazon soit basée aux États-Unis, sa main-d’œuvre est désormais présente dans le monde entier. L’entreprise s’en est servie pour baisser les salaires et augmenter la productivité grâce à une concurrence exacerbée. Certain·es travailleur·euse·s en Europe luttent pour contrer cette stratégie, en se connectant et en s’organisant collectivement. La bataille reste difficile car Amazon crée des contrats individualisés pour ses sites, faisant de son mieux pour monter les travailleur·euse·s les un·e·s contre les autres, non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi d’un entrepôt à l’autre. Les efforts se poursuivent cependant et laissent entrevoir des possibilités pour l’avenir d’une organisation internationale.

Dans un récent épisode du nouveau podcast Primer de la revue Jacobin, Alex N. Press s’est entretenue avec deux travailleuses polonaises qui militent au sein de l’Amazon Workers International (AWI) : Magda Malinovska et Agnieszka Mroz. À la différence des syndicats ou des fédérations syndicales établies de longue date, l’AWI est une organisation d’atelier, qui est moins formalisée. Malinovska travaille au centre Amazon de Poznań, en Pologne, depuis cinq ans, d’abord comme préparatrice de commandes, puis aux côtés d’Agnieszka comme emballeuse ; Agnieszka a commencé à Poznań, qui était le premier entrepôt d’Amazon en Pologne, lors de son ouverture en 2014. Les activités d’Amazon dans le pays n’ont fait que se développer au cours des années qui ont suivi.

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Agnieszka Mroz : Dans notre entrepôt, il y a plus ou moins dix mille travailleur·euse·s. Amazon, bien sûr, ne l’admettra pas ; ils diront qu’il y a trois mille travailleur·euse·s avec le badge bleu [c’est-à-dire des travailleur·euse·s permanent·e·s]. Mais il y a aussi deux fois plus de travailleur·euse·s intérimaires, des agent·e·s de nettoyage, qui n’ont pas de contrat permanent et également les travailleur·euse·s de la sécurité. Cela fait donc dix mille travailleurs et travailleuses : il s’agit donc d’un grand entrepôt.

Alex N. Press : Comment la Pologne est-elle devenue un lieu si important pour Amazon ?

Agnieszka Mroz : La réponse est simple : une main-d’œuvre bon marché. Les travailleur·euse·s polonais·e·s gagnent trois fois moins que dans les autres pays d’Europe occidentale. Mais ce n’est pas seulement une question de coût. Amazon a connu une croissance importante : ils n’ont pas simplement déplacé des entrepôts d’Allemagne en Pologne ; l’ouverture des sites en Pologne a joué un rôle politique, qui consistait à faire du chantage aux travailleur·euse·s qui organisaient des grèves en Allemagne, car les travailleur·euse·s en Pologne livrent sur le marché allemand. Nous servons Amazon.de.

2014 a été l’un des moments chauds avec les grèves en Allemagne. Amazon nous a utilisés comme une carte supplémentaire contre les travailleur·euse·s qui se mobilisent. Bien sûr, cela a créé une pression pour nous, car les travailleur·euse·s en Pologne ne veulent pas briser les grèves. Mais en raison des différentes réglementations, des lois nationales, etc., il existe des différences entre la mobilisation en Pologne et en Allemagne. Tout cela fait donc partie des raisons objectives de sa croissance ici : les faibles coûts de main-d’œuvre et la précarité de l’emploi en Pologne. Ici, Amazon a plus de moyens de pression sur les travailleur·euse·s lorsqu’il s’agit de faire respecter les quotas de productivité.

Alex N. Press : De nombreux/ses travailleur·euse·s, tant en Allemagne qu’en Pologne, sont bien conscient·e·s qu’Amazon les monte les un·e·s contre les autres pour maintenir les coûts au plus bas. Mais ils et elles savent aussi qu’il ne faut pas se contenter de suivre le mouvement. Ce sont des travailleur·euse·s qui avaient été formé·e·s à l’étranger et qui ont vu le type de conditions et d’avantages dont bénéficiaient les travailleurs et les travailleuses d’Amazon dans des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne, qui ont créé le syndicat à Poznań. Il n’a pas fallu longtemps pour que des canaux de communication s’ouvrent entre l’entrepôt de Poznań et les travailleur·euse·s en Allemagne.

Magda Malinovska
: En 2016, nous avons reçu des informations selon lesquelles les travailleurs/ses allemand·e·s étaient en grève. Les travailleur·euse·s ne voulaient pas briser la grève. Nous avons donc organisé des actions de ralentissement. Nous l’avons payé cher : quelques travailleur·eus·es ont été licencié·e·s et certain·e·s travailleur·euse·s s’en souviennent encore : il règne une certaine peur d’organiser de telles actions. Mais nous continuons à mobiliser et à collaborer avec les travailleur·euse·s allemand·e·s. Par exemple, nous avons récemment rédigé un tract commun, affirmant que nous demandons plus ou moins les mêmes salaires.

La question des salaires est très importante pour nous, car les Polonais font des heures supplémentaires en raison de leurs bas salaires. Les heures supplémentaires sont populaires parmi les travailleur·euse·s polonais·es et, selon les statistiques, nous sommes l’une des nations d’Europe qui travaille le plus grand nombre d’heures. C’est principalement à cause de nos salaires, qui sont très bas, que les gens sont obligés de faire des heures supplémentaires. Nous demandons donc des salaires plus élevés et nos collègues allemand·e·s nous soutiennent parce qu’ils savent que lorsqu’ils sont en grève, les Polonais·e·s, en raison de la situation économique, sont contraint·e·s de faire des heures supplémentaires et que, de ce fait, leurs grèves ont moins de poids.

Alex N. Press : L’AWI a également été en contact avec des travailleur·euse·s de France, d’Italie, d’Espagne, de République tchèque et de Slovaquie qui ont évoqué la tactique employée par Amazon, qui consiste notamment à imposer à certains pays un travail plus dégradant.

Magda Malinovska
: L’entreprise ne peut pas utiliser les produits que les clients retournent, alors elle les envoie en Pologne depuis les autres pays. Les travailleur·euse·s n’aiment vraiment pas ça, parce qu’en fait, il s’agit de trier les ordures. Ils/elles se disent que nous sommes devenus un endroit pour le traitement des ordures de toute l’Europe.

Nous échangeons donc ces informations, nous essayons de créer des revendications communes ; nous essayons également d’organiser des actions communes et de nous soutenir mutuellement pendant les grèves. Nous avons des lois différentes ce qui nous oblige donc à utiliser des moyens de lutte différents. Nous essayons néanmoins de faire des choses ensemble : dans certains pays, les travailleur·euse·s ont organisé des blocages et nous avons reçu un certain soutien de la campagne « Make Amazon Pay » l’année dernière. Ils et elles ont donc organisé des blocages devant notre entrepôt. Dans d’autres pays, les travailleur·euse·s sont autorisé·e·s à se mettre en grève, alors ils et elles se mettent en grève. De cette façon, nous essayons de faire pression sur Amazon.

C’était très efficace, surtout pendant la pandémie, lorsque nous avions des revendications communes. Amazon ne pouvait pas nous ignorer. Lorsque nous avons demandé une prime de risque pour travailler dans des conditions très précaires, ils ne pouvaient pas dire non. De même, lorsque nous avons mis en en avant des revendications concernant les mesures de sécurité, ils ne pouvaient pas les ignorer. À cette époque, nous avons réalisé à quel point nous sommes puissant·e·s lorsque nous agissons ensemble. C’est pourquoi nous essayons de poursuivre cette action, sans bureaucratie, au niveau de l’atelier, en discutant de notre situation en tant que travailleur·euse·s. Nous devons développer cela, sinon Amazon sera toujours beaucoup, beaucoup plus fort que nous...

Par Magda Malinovska, Agnieszka Mroz et Alex N.Press (publié le 13/09/2021)
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