21 Août 2019
- Depuis quelques mois, des opérations de désobéissance civile sont organisées par des ONG de défense de l’environnement pour dénoncer le dérèglement climatique.
- Le concept n’a rien de nouveau, mais il semble connaître un regain de popularité.
- 20 Minutes a interrogé des activistes pour comprendre pourquoi la désobéissance civile est un outil indispensable, mais parfois discuté.
Cette initiative symbolique s’inscrit dans la tradition de la désobéissance civile, un mode d’action non-violente consistant à refuser de façon assumée et publique de se soumettre à une loi. Blocage des tours de La Défense par des écolos, intrusion dans des abattoirs pour défendre les animaux, vols de chaises dans des banques afin de dénoncer l’évasion fiscale… Si le concept ne date pas d’hier, il semble connaître un regain de popularité et les stages de formation se multiplient. La désobéissance civile est-elle devenue indispensable pour se faire entendre ?
Quand faucher des OGM permet de débattre de « malbouffe »
« Il y a un effet de mode et une inflation du terme », observe Albert Ogien, directeur de recherche émérite au CNRS. Pas toujours à propos, estime le chercheur, qui recadre la définition de la désobéissance civile stricto sensu : « La désobéissance civile, c’est dire ‘je n’applique pas la loi’, et le faire à visage découvert, pour se faire arrêter, et avoir un procès qui permet de débattre publiquement de cette loi, dans l’intérêt général. »
L’exemple des faucheurs d’OGM illustre bien le concept. « Quand on participe à ce type d’actions, on sait que la répression en fait partie. Pour les fauchages de plants d’OGM, à chaque fois, quand les gendarmes arrivaient on leur remettait la liste des participants, avec leur téléphone et leur adresse », se souvient José Bové. Vingt ans après le démontage du McDonald’s de Millau pour dénoncer la « malbouffe », l’ancien député européen estime que la désobéissance civile est toujours aussi nécessaire. « Ça permet de créer un rapport de force, face à des lobbies économiques toujours aussi puissants, voire de plus en plus concentrés ».
Désobéir pour « créer un rapport de force » face aux décideurs politiques et économiques
Greenpeace, association de protection de l’environnement, a toujours pratiqué la désobéissance civile. Ses faits d’armes les plus emblématiques en France sont les multiples intrusions dans des centrales nucléaires pour dénoncer les failles de sécurité autour de ces sites ultrasensibles. « Il faut être capable de désobéir mais aussi de s’asseoir à la table du ministère pour négocier », dit Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, qui a publié en mai On ne joue plus ! Manuel d’action climatique et de désobéissance civile*. « La désobéissance civile n’est pas notre seul outil, elle est complémentaire d’autres actions comme le plaidoyer, la communication ».
Désobéir est souvent nécessaire, selon Jean-François Julliard. « Si on ne crée pas ce rapport de force, on n’obtient rien. Et cela passe par des actions de désobéissance, ou des grèves, des actes plus radicaux qui montrent notre détermination. On n’est pas reçu de la même manière par les dirigeants de Total une fois qu’on leur a montré qu’on peut bloquer leur site. Et si on n’était pas entrés à plusieurs reprises dans des centrales nucléaires, on n’aurait pas déclenché de réaction politique » témoigne-t-il. En juillet 2018, une commission parlementaire a ainsi appelé à renforcer le contrôle des centrales.
« On n’aurait pas les moyens de se faire entendre »
Pour l’association de protection animale L214, ce sont des actes de désobéissance qui ont permis d’étayer son discours dénonçant l’élevage industriel. « On n’aurait pas les moyens de se faire entendre si on n’allait pas chercher la parole de lanceurs d’alerte, qui sont en situation de désobéissance », estime Brigitte Gothière, présidente de l’association. « Au tout début, on n’avait pas d’images de maltraitance animale. On est allés les chercher, en enfreignant l’interdiction de filmer ou de photographier en vigueur sur ces sites. Aujourd’hui notre discours est légitime. »
Les vidéos, souvent choquantes, de couvoirs ou d’abattoirs ont été très médiatisées et ont permis de sensibiliser l’opinion publique, mais aussi de lancer plusieurs enquêtes contre des entreprises de l’industrie agroalimentaire.
Un mode d’action qui fait débat
Mais la désobéissance civile peut-elle s’appliquer à tous les combats ? La militante féministe à Nous Toutes Caroline de Haas s’interroge. « Les actes de désobéissance civile ont bien sûr permis de faire bouger les lignes. Mais lorsque l’on combat les violences, avoir recours à des actions qui peuvent être perçues comme violentes, cela pose question, tout comme les opérations "choc". Par exemple, inonder des fontaines publiques avec du sang pour dénoncer les féminicides risque de réveiller des traumatismes chez des femmes ayant été victimes de violences », explique-t-elle.
Entre militantes féministes, le concept fait débat, selon Caroline de Haas. « Face à l’impunité de l’immense majorité des violeurs, faut-il outer [dénoncer] les violeurs, en publiant sur un blog leur nom et leur photo, même si c’est puni par la loi ? Certaines l’ont proposé, mais j’y suis opposée car cela reviendrait à se faire justice soi-même et risque de désagréger notre société ».
Un « effet de mode » ?
En matière d’écologie, la désobéissance civile semble néanmoins se démocratiser, notamment avec l’apparition d’Extinction Rébellion, qui organise des blocages au Royaume-Uni et en France, et prévoit une opération internationale début octobre. « On voit arriver de nouvelles personnes prêtes à franchir cette ligne, signe qu’il y a une prise de conscience collective de l’urgence climatique », constate Jean-François Julliard à Greenpeace France. Les personnes qui ont participé au blocage des quatre tours de La Défense, le 19 avril dernier, étaient selon lui à 70 % des novices en matière de désobéissance civile.
« Désormais, la désobéissance civile apparaît comme le premier recours pour dénoncer la réduction des droits sociaux ou le péril climatique », remarque Albert Ogien. « Dans ce regain d’amour pour la désobéissance civile, il peut y avoir l’illusion qu’on va obtenir des résultats rapides, or c’est un combat de longue haleine », souligne le spécialiste des mouvements sociaux. La répétition de la désobéissance et la multiplication des procès sont selon lui nécessaires pour que les militants obtiennent gain de cause.
Le décrochage de portraits d’Emmanuel Macron va-t-il faire avancer la lutte contre le réchauffement de la planète ? Les militants auront l’occasion de plaider l’urgence climatique devant la justice : rien qu’au mois de septembre, 14 procès sont prévus pour juger les « décrocheurs ».
Par Laure Cometti (publié le 15/08/2019)
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