12 Juil 2017
Les destructions locales de l’environnement ont des conséquences graves sur l’équilibre de l’écosystème global, expliquent les auteurs de cette tribune. Qui proposent de refonder le droit environnemental international sur le modèle du droit pénal international.
Les Verts mondiaux forment un partenariat international entre mouvements politiques verts, qui travaillent ensemble à la mise en œuvre de la Charte des Verts mondiaux. Les signataires de cette tribune en font partie. Il s’agit de Benjamin Bibas et Marie Toussaint (Europe Ecologie des Verts, France), Sylvio Michel (Verts fraternels de Maurice), Michael Kellner et Thomas Künstler (Bündnis 90 / Die Grünen, Allemagne), Tiina Rosberg (Vihreät - De Gröna, Finlande), Mikel Rodriguez (Equo, Espagne).
En juillet 2010, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir, président du Soudan, pour trois charges de génocide, y compris « par soumission intentionnelle (…) à des conditions d’existence devant entraîner (la) destruction physique », dont l’empoisonnement de sources et de pompes à eau de villes et de villages. Pendant plusieurs années durant les années 2000, des membres des groupes ethniques Four, Masalit et Zaghawa sont morts ou ont dû fuir leur foyer parce que, en plus d’autres violences, leur environnement était détruit.
Que se passe-t-il si les conditions de vie qui entraînent la destruction et le déplacement forcé sont infligées délibérément, mais sans intention de tuer ? Jusqu’à présent, la justice pénale internationale est restée silencieuse. Le célèbre militant écologiste Ken Saro Wiwa (1941-1995) l’a formulé il y a déjà 25 ans dans son essai Genocide in Nigéria : the Ogoni Tragedy. Même s’il n’y avait pas d’intention de la part des compagnies pétrolières et du gouvernement nigérian de détruire la petite minorité ogoni vivant dans le delta du Niger, l’exploitation intensive de pétrole depuis 1958 y avait, dès les années 1980, déclenché la mort de milliers de personnes par cancer ou par d’autres maladies, mais aussi le déplacement forcé de dizaines de milliers de personnes en raison notamment de la dépossession systématique de leurs terres. Les terres avaient été rendues impropres à produire de la nourriture, et l’empoisonnement généralisé de l’environnement avait rendu toute vie humaine décente quasiment impossible dans la région. En 1995, Ken Saro Wiwa a été condamné à mort et exécuté par la junte nigériane pour avoir dénoncé cette tragédie. Et, malgré quelques procès civils qui ont forcé Shell à offrir une compensation financière à certaines victimes, aucune justice pénale, nationale ou internationale, n’a rendu de décision sur cette situation dramatique.
Aujourd’hui, dans le monde entier, certaines exploitations minières industrielles, déforestations ou émissions intensives de gaz à effet de serre ont d’énormes conséquences humanitaires pour les personnes qui vivent dans les environs… et bien au-delà. Les recherches récentes sur le changement climatique, mais aussi sur les « limites planétaires » prouvent qu’une destruction importante de l’environnement à l’échelle locale peut avoir des conséquences graves pour les êtres humains et les autres espèces à d’autres endroits de la planète. En plus de ses conséquences humanitaires, la destruction grave de l’environnement au niveau local devrait être considérée comme hautement criminelle, car elle compromet les conditions de toute vie à l’échelle mondiale. Comme les violations graves des droits de l’homme qui affectent la dignité humaine, elle devrait être considérée comme un crime international.
Cette cour devrait avoir suprématie sur les justices nationales
C’est pourquoi lors du dernier Congrès des partis verts mondiaux, qui a eu lieu à Liverpool fin mars dernier, nous avons rédigé, discuté et finalement voté une résolution visant à lutter légalement contre la destruction de l’environnement. À notre avis, il est grand temps de combler les énormes lacunes du droit pénal international qui permet que des personnes ou même des espèces animales entières meurent à cause d’une exploitation trop intensive de la nature. Pour ce faire, nous suggérons que le droit environnemental international et ses plus de 3.000 traités fragmentés (sur les océans, les côtes, les forêts…) soient unifiés dans un code contraignant de principes, comme tous les traités internationaux relatifs au droit humanitaire ont été unifiés en 1998 dans le Statut de Rome fondant la Cour pénale internationale. Au sommet des infractions concernées par ce code de principes contraignant figurerait la destruction de l’environnement qualifiée internationalement de « crime d’écocide », notion qui reste à définir précisément à partir de plusieurs avancées théoriques récentes (limites planétaires, droits de la nature, droits des générations futures, patrimoine commun de l’humanité…).
Dans cette perspective, nous accueillons bien sûr chaleureusement l’intention du procureur de la CPI d’enquêter sur les crimes du Statut de Rome « qui sont commis au moyen, ou qui entraînent la destruction de l’environnement, l’exploitation illégale de ressources naturelles ou la dépossession illégale de terres ». Toutefois, du fait de certains inconvénients de la CPI, comme son approche complémentaire, qui permet malheureusement à divers États de ne pas coopérer, nous encourageons la communauté internationale à s’impliquer dans la création d’une Cour environnementale internationale placée sous l’autorité des Nations unies. Comme les tribunaux pénaux internationaux ad hoc créés dans les années 1990 pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, cette cour devrait avoir suprématie sur les justices nationales. Elle serait conçue pour prévenir et juger les crimes environnementaux les plus graves et pour être le cœur d’une architecture contraignante de droit international de l’environnement.
Par Auriane Biron (30/05/2017)
A lire sur Reporterre
Les Verts mondiaux forment un partenariat international entre mouvements politiques verts, qui travaillent ensemble à la mise en œuvre de la Charte des Verts mondiaux. Les signataires de cette tribune en font partie. Il s’agit de Benjamin Bibas et Marie Toussaint (Europe Ecologie des Verts, France), Sylvio Michel (Verts fraternels de Maurice), Michael Kellner et Thomas Künstler (Bündnis 90 / Die Grünen, Allemagne), Tiina Rosberg (Vihreät - De Gröna, Finlande), Mikel Rodriguez (Equo, Espagne).
En juillet 2010, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir, président du Soudan, pour trois charges de génocide, y compris « par soumission intentionnelle (…) à des conditions d’existence devant entraîner (la) destruction physique », dont l’empoisonnement de sources et de pompes à eau de villes et de villages. Pendant plusieurs années durant les années 2000, des membres des groupes ethniques Four, Masalit et Zaghawa sont morts ou ont dû fuir leur foyer parce que, en plus d’autres violences, leur environnement était détruit.
Que se passe-t-il si les conditions de vie qui entraînent la destruction et le déplacement forcé sont infligées délibérément, mais sans intention de tuer ? Jusqu’à présent, la justice pénale internationale est restée silencieuse. Le célèbre militant écologiste Ken Saro Wiwa (1941-1995) l’a formulé il y a déjà 25 ans dans son essai Genocide in Nigéria : the Ogoni Tragedy. Même s’il n’y avait pas d’intention de la part des compagnies pétrolières et du gouvernement nigérian de détruire la petite minorité ogoni vivant dans le delta du Niger, l’exploitation intensive de pétrole depuis 1958 y avait, dès les années 1980, déclenché la mort de milliers de personnes par cancer ou par d’autres maladies, mais aussi le déplacement forcé de dizaines de milliers de personnes en raison notamment de la dépossession systématique de leurs terres. Les terres avaient été rendues impropres à produire de la nourriture, et l’empoisonnement généralisé de l’environnement avait rendu toute vie humaine décente quasiment impossible dans la région. En 1995, Ken Saro Wiwa a été condamné à mort et exécuté par la junte nigériane pour avoir dénoncé cette tragédie. Et, malgré quelques procès civils qui ont forcé Shell à offrir une compensation financière à certaines victimes, aucune justice pénale, nationale ou internationale, n’a rendu de décision sur cette situation dramatique.
Aujourd’hui, dans le monde entier, certaines exploitations minières industrielles, déforestations ou émissions intensives de gaz à effet de serre ont d’énormes conséquences humanitaires pour les personnes qui vivent dans les environs… et bien au-delà. Les recherches récentes sur le changement climatique, mais aussi sur les « limites planétaires » prouvent qu’une destruction importante de l’environnement à l’échelle locale peut avoir des conséquences graves pour les êtres humains et les autres espèces à d’autres endroits de la planète. En plus de ses conséquences humanitaires, la destruction grave de l’environnement au niveau local devrait être considérée comme hautement criminelle, car elle compromet les conditions de toute vie à l’échelle mondiale. Comme les violations graves des droits de l’homme qui affectent la dignité humaine, elle devrait être considérée comme un crime international.
Cette cour devrait avoir suprématie sur les justices nationales
C’est pourquoi lors du dernier Congrès des partis verts mondiaux, qui a eu lieu à Liverpool fin mars dernier, nous avons rédigé, discuté et finalement voté une résolution visant à lutter légalement contre la destruction de l’environnement. À notre avis, il est grand temps de combler les énormes lacunes du droit pénal international qui permet que des personnes ou même des espèces animales entières meurent à cause d’une exploitation trop intensive de la nature. Pour ce faire, nous suggérons que le droit environnemental international et ses plus de 3.000 traités fragmentés (sur les océans, les côtes, les forêts…) soient unifiés dans un code contraignant de principes, comme tous les traités internationaux relatifs au droit humanitaire ont été unifiés en 1998 dans le Statut de Rome fondant la Cour pénale internationale. Au sommet des infractions concernées par ce code de principes contraignant figurerait la destruction de l’environnement qualifiée internationalement de « crime d’écocide », notion qui reste à définir précisément à partir de plusieurs avancées théoriques récentes (limites planétaires, droits de la nature, droits des générations futures, patrimoine commun de l’humanité…).
Dans cette perspective, nous accueillons bien sûr chaleureusement l’intention du procureur de la CPI d’enquêter sur les crimes du Statut de Rome « qui sont commis au moyen, ou qui entraînent la destruction de l’environnement, l’exploitation illégale de ressources naturelles ou la dépossession illégale de terres ». Toutefois, du fait de certains inconvénients de la CPI, comme son approche complémentaire, qui permet malheureusement à divers États de ne pas coopérer, nous encourageons la communauté internationale à s’impliquer dans la création d’une Cour environnementale internationale placée sous l’autorité des Nations unies. Comme les tribunaux pénaux internationaux ad hoc créés dans les années 1990 pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, cette cour devrait avoir suprématie sur les justices nationales. Elle serait conçue pour prévenir et juger les crimes environnementaux les plus graves et pour être le cœur d’une architecture contraignante de droit international de l’environnement.
Par Auriane Biron (30/05/2017)
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