La participation citoyenne comme antidote à la corruption
La presse devrait être un puissant contrôle des travers, des manques de pratiques démocratiques, voire des corruptions que certains hommes politiques ou partis connaissent ou créent. Mais s’indigner et dénoncer les coupables ne garantit pas la non-reconduction de mêmes pratiques. Demain, de nouveaux Fillon, Moreau ou Mayeur naîtront et développeront des procédés indignes et coupables dans les mêmes structures de pouvoir sans contrôle.

Sans s’attaquer aux causes, on se fait inconsciemment complice des effets qui se reproduisent sans cesse, car les élus, souvent professionnels de la politique, et leurs structures, leurs partis, ont prouvé que d’eux-mêmes, ils ne parvenaient pas à s’auto-contrôler. Sans créer de nouveaux moyens de surveillance, d’éveil critique dynamisé par des mouvements citoyens participatifs, il y a peu de chance que soit freinée la course effrénée aux fonctions très lucratives de certains politiques qui confondent être au service des citoyens, du bien commun, et être au service de l’économie marchande, et donc de la recherche du profit individuel maximum.

Il faut donc rendre fortes, visibles et transparentes les barrières qui séparent l’action politique de l’action marchande intéressée des hommes politiques. Ce contrôle démocratique de notre société par la participation d’associations citoyennes à la chose publique est juste et peut être utile et efficace. La presse libre, financièrement indépendante, se doit de participer au développement de ce choix.

Nous avons demandé à Jean De Munck, professeur à l’UCL, cette première contribution, et souhaitons poursuivre sur ce site ce débat d’idées.

Dégage!

Ce cri avait surgi au cœur des émeutes tunisiennes du printemps 2011. Aujourd’hui, il s’élève dans nos propres pays et soulève un tsunami politique. Il ne s’adresse pas, cependant, à un dictateur, mais à des hommes et des femmes politiques démocratiquement élus, mis en cause dans des affaires de corruption. Les partis prennent peur, s’affolent et se débandent. Auparavant, ils se tiraient de ces sales affaires par des mesures de basse intensité. Aujourd’hui, l’opinion publique ne tolère plus les tiédeurs. Mais alors, que faire?

Le dégagisme, un néologisme apparu en Tunisie au printemps 2011 et théorisé peu après par un collectif belge.
Le scénario qui s’improvise sous nos yeux n’est pas très mystérieux. Il articule deux moments. Au dégagisme, il fait succéder le juridisme. Premier temps: il faut chasser les coupables, les pourris, les cupides, car le mal est en eux et ils sont contagieux. Dehors donc, les Fillon, De Decker, Moreau, Bayrou, Mayeur, Gilles, Peraïta! Le grand dégagement serait l’exutoire des colères de la vertu. Dans un deuxième temps, on fera voter des lois. On réaffirmera des principes. On inventera des règles: interdit de cumul des mandats ou des rémunérations ; gratuité des prestations dérivées des fonctions publiques; transparence des informations. Les tribunaux seront saisis en cas d’infraction.

Sous une forme ou une autre, ces deux solutions composent l’essentiel des stratégies des partis face à une crise sans précédent. Elles contiennent leur part de bon sens, mais elles ne sont aucunement suffisantes pour rencontrer les causes profondes de la corruption politique.

Le dégagisme: une fausse solution

Le dégagisme a pour avantage de mettre fin à l’impunité. Mais il ne promet rien pour l’avenir. Il fait disparaitre, par une logique de personnalisation des fautes, les (dys)fonctionnements objectifs, non analysés, qui sont à l’origine des déviances.
Après tout, la condamnation de responsables socialistes suite à l’affaire Agusta date de 1998! Elle fut assortie de sanctions sévères, dont des interdictions de fonction publique pour des responsables de premier plan (Willy Claes, Guy Spitaels, Guy Coëme). On peut admettre qu’elle eut quelques effets sur le contrôle des marchés publics. Mais on ne peut pas dire, pourtant, qu’elle ait durablement enrayé, dans les vingt années qui ont suivi, la corruption multiforme existant au sein du Parti socialiste.

Aujourd’hui, en France, le parti d’Emmanuel Macron se vante d’avoir porté au pouvoir une vague d’élus supposés «propres» parce que néophytes. On ne peut que trouver bizarre l’idée selon laquelle le noviciat protège, mieux que l’expérience, de la tentation. Dès qu’ils seront confrontés aux dilemmes, ambiguïtés et complexités de la vie politique, les saints-innocents qui viennent d’entrer au Palais Bourbon pourraient bien se transformer en oiseaux pour le chat. Sous la pression, parfois brutale, le plus souvent sournoise, des lobbies en tout genre, ne risquent-ils pas de tomber très vite, ces sympathiques naïfs, dans des compromissions qui déboucheront, à terme, sur des corruptions? Changer les personnes sans changer les structures, c’est perpétuer le mal plutôt que le traiter.

La règle juridique ne suffit pas

D’un autre côté, le juridisme n’est pas beaucoup plus prometteur. Sauf de rares cas, la corruption n’est en effet pas le fruit de l’inexistence de la règle, mais bien de sa non-application, tolérée et officieuse.

Lire la suite sur pour (28/06/201)