06 Juin 2020
L’élevage industriel, explique l’autrice de cette tribune, est en partie responsable de la multiplication des zoonoses. Par ailleurs, estime-t-elle, comme les modes de production biologiques ou en plein air ne peuvent pas fournir les protéines suffisantes à la population mondiale sans peser sur les milieux naturels, les États devraient lancer une politique alimentaire à base de protéines végétales.
Diplômée d’architecture, Marit de Haan a également suivi un cursus au sein du Centre européen des affaires publiques. Elle est présidente depuis 2012 de Nos amis les animaux (Nala 85480), qui s’emploie à améliorer la situation des animaux domestiques. Et, avec son mari, elle a fondé en 2016 l’association Forests From Farms afin de soutenir les projets de réensauvagement nécessaires à la lutte contre le changement climatique.
Sept associations — Eyes on Animals ; Forests From Farms ; L’Arche de Maddy ; Luna ; Nos amis les animaux, Nala85480 ; Sanctuaire La Garie ; Vivre et Laisser vivre — se sont associées pour envoyer une lettre accablante aux responsables des pays du monde, et aux organismes internationaux comme l’ONU (qui a lancé une vaste consultation mondiale sur le monde de demain), pour leur demander de prendre leurs responsabilités. En effet, afin d’éviter de futures pandémies, des mesures évidentes et ambitieuses s’imposent : à terme, il faut arrêter la consommation des animaux et de leurs produits.
Lutter contre les conséquences sanitaires et sociales de la pandémie de Covid-19 ne doit pas nous faire oublier son origine. Il est aujourd’hui presque certain que la transmission du virus à l’être humain et sa diffusion trouvent leur source dans la vente et la consommation d’animaux.
Il arrive aussi qu’une « épizootie » devienne une « zoonose »
Car c’est un fait scientifiquement établi que les virus évoluent. Ils ne sont pas stables. Parfois, ils rencontrent des impasses immunitaires et disparaissent. Mais il arrive aussi qu’une « épizootie » — maladie frappant une espèce animale déterminée — devienne une « zoonose » — maladie ou infection qui se transmet des animaux vertébrés à l’être humain, et vice versa. Le H5N1, dite « grippe aviaire », était une épizootie… jusqu’en 1997, quand il a touché deux humains à Hong Kong (voir Fabrice Nicolino, La Bidoche). En 1957, la combinaison de grippes animales et humaine, suivie d’une mutation, cause la pandémie de grippe asiatique, responsable de la mort de 1 million de personnes au moins. En 2009, une nouvelle combinaison de virus grippaux d’origine aviaire, porcine et humaine provoquait au minimum 151.700 morts ; certaines sources parlent de 200.000.
Par ailleurs, les scientifiques nous alertent depuis longtemps quant à l’imminence d’une pandémie de grippe aviaire.
L’importance de ce phénomène zoonotique est bien connu des instances officielles internationales et nationales. « Selon le Département étasunien de la santé, près de 16 % de tous les décès recensés au niveau mondial sont attribués à des maladies infectieuses, et les zoonoses représentent 60 % des maladies infectieuses connues et 75 % des maladies infectieuses émergentes », relatait récemment le National Geographic. Le centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation français le rapportait déjà très bien en 2014 et c’est un des champs de bataille de l’ONU.
Ce développement des pandémies déclenchées par des zoonoses s’accélère notamment à cause de la multiplication des élevages industriels, qui facilitent les contacts entre animaux et humains : « Parce que les élevages fortement concentrés ont tendance à rassembler d’importants groupes d’animaux sur une surface réduite, ils facilitent la transmission et le mélange des virus », précise Jacques Caplat, dans L’Agriculture biologique pour nourrir l’humanité.
La multiplication des élevages industriels est en partie responsable des nouvelles maladies infectieuses
D’autant plus que cette industrialisation massive de l’élevage s’accompagne d’une sélection des espèces en fonction de leur productivité. Les animaux y deviennent presque génétiquement identiques, avec un système immunitaire faible, et donc une capacité de résistance aux maladies amoindrie. Ce qui a aussi un effet direct sur notre santé, en engendrant l’utilisation massive d’antibiotiques.
En outre, pour nourrir les cheptels, l’industrie agroalimentaire pratique déforestation déchaînée et accaparement des terres aux fins de cultiver, à grand renfort d’eau, de pesticides, d’énergies fossiles, soja et maïs, qui contribuent au changement climatique. L’élevage est ainsi responsable de 63 % de la déforestation de la forêt amazonienne. En 2006, la [FAO|L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture] révélait dans son rapport « Livestock’s Long Shadow » que l’élevage était responsable de 18 % des émissions de gaz à effets de serre.
Et nous ne nous attarderons pas sur les traitements infligés aux hommes et aux animaux qui partagent dans ces élevages ce que l’humanité offre de plus brutal et de plus cruel. Qui, après avoir lu La Jungle, d’Upton Sinclair, ou regardé des images d’abattoir, souhaite à un nouveau-né de devenir « ouvrier de tuerie » ?
Ce constat est maintenant si partagé que de plus en plus de voix, scientifiques notamment, s’élèvent pour que nous sortions du modèle de l’élevage industriel.
De notre côté, nous souhaitons aller plus loin et appelons à un changement fondamental sur le long terme. Nous demandons la fin de la consommation de viande et de tout produit animal par souci de cohérence et d’égalité. En effet, une production de viande et de produits animaux à petite échelle ne pourra suffire à nourrir l’ensemble des êtres humains.
Si nous devions maintenir une alimentation carnée à l’échelle de la planète, et même en développant les modes de production biologique ou en plein air, il faudrait augmenter les cheptels actuels, lesquels ne peuvent être nourris qu’en gagnant des terres sur les zones sauvages, provoquant la destruction d’espèces, en incitant d’autres à se déplacer vers des zones habitées, ce qui facilitera d’autant la mise en contact avec des maladies jusque-là contenues par les barrières environnementales et animales. Autant d’occasions pour ces maladies de s’adapter et de se diffuser. La chimie des médicaments et des vaccins fera effet un temps, mais sera-t-elle toujours efficace et sans effets collatéraux ? Et qui y aura accès et à quel prix ?
La reconversion des éleveurs sera au cœur d’une telle politique
Le temps semble venu de dépasser le mode d’alimentation fondé sur l’élevage. Une réflexion libérée des héritages et des dogmes doit conduire à la mise en place d’une politique ambitieuse de fin de la consommation d’animaux et de leurs produits sur le long terme. Dès à présent, il est urgent de soutenir financièrement et humainement le développement de sources alternatives de protéines. Les protéines végétales (pois chiches, lentilles, céréales, noix, etc.) permettent aujourd’hui une cuisine alternative goûteuse et variée. Et leur culture nécessite beaucoup moins d’eau : 4.650 litres d’eau pour produire 1 kilo de protéines végétales, contre 7.600 litres pour 1 kilo de protéines animales.
Il est inacceptable de continuer à sacrifier des agriculteurs et des éleveurs aux intérêts de filières qui spéculent internationalement à court terme sur des produits dont les nuisances et les risques sanitaires qu’ils font peser sur l’ensemble de l’humanité sont avérés. C’est pourquoi la crise sanitaire engendrée par le Covid-19 met en lumière l’entière responsabilité des gouvernements quant à la mise en place, non seulement d’une politique de santé, mais aussi d’une politique alimentaire. Le temps est venu de réfléchir à une politique agricole où les outils financiers, légaux, scientifiques et éducatifs seront mis au service d’une alimentation fondée sur la production de protéines végétales. Cette nouvelle alimentation sera à destination de marchés continentaux et d’échanges justes, protégés par des traités dont l’objectif sera l’intérêt des agriculteurs et des populations. La reconversion des éleveurs sera au cœur d’une telle politique, notamment en ce qui concerne la prise en charge, voire l’annulation, des dettes contractées aux fins de développement et de « modernisation » des élevages sous la pression des filières.
Après cette crise, si les affaires reprennent comme avant, nous pouvons considérer que la prochaine crise sanitaire — due à une maladie, au dérèglement climatique ou à une catastrophe écologique — est déjà là.
C’est pourquoi nous vous proposons de signer la pétition qui accompagne cette lettre.
Par Marit de Haan (publié le 25/05/2020)
A lire sur le site Reporterre
Diplômée d’architecture, Marit de Haan a également suivi un cursus au sein du Centre européen des affaires publiques. Elle est présidente depuis 2012 de Nos amis les animaux (Nala 85480), qui s’emploie à améliorer la situation des animaux domestiques. Et, avec son mari, elle a fondé en 2016 l’association Forests From Farms afin de soutenir les projets de réensauvagement nécessaires à la lutte contre le changement climatique.
Sept associations — Eyes on Animals ; Forests From Farms ; L’Arche de Maddy ; Luna ; Nos amis les animaux, Nala85480 ; Sanctuaire La Garie ; Vivre et Laisser vivre — se sont associées pour envoyer une lettre accablante aux responsables des pays du monde, et aux organismes internationaux comme l’ONU (qui a lancé une vaste consultation mondiale sur le monde de demain), pour leur demander de prendre leurs responsabilités. En effet, afin d’éviter de futures pandémies, des mesures évidentes et ambitieuses s’imposent : à terme, il faut arrêter la consommation des animaux et de leurs produits.
Lutter contre les conséquences sanitaires et sociales de la pandémie de Covid-19 ne doit pas nous faire oublier son origine. Il est aujourd’hui presque certain que la transmission du virus à l’être humain et sa diffusion trouvent leur source dans la vente et la consommation d’animaux.
Il arrive aussi qu’une « épizootie » devienne une « zoonose »
Car c’est un fait scientifiquement établi que les virus évoluent. Ils ne sont pas stables. Parfois, ils rencontrent des impasses immunitaires et disparaissent. Mais il arrive aussi qu’une « épizootie » — maladie frappant une espèce animale déterminée — devienne une « zoonose » — maladie ou infection qui se transmet des animaux vertébrés à l’être humain, et vice versa. Le H5N1, dite « grippe aviaire », était une épizootie… jusqu’en 1997, quand il a touché deux humains à Hong Kong (voir Fabrice Nicolino, La Bidoche). En 1957, la combinaison de grippes animales et humaine, suivie d’une mutation, cause la pandémie de grippe asiatique, responsable de la mort de 1 million de personnes au moins. En 2009, une nouvelle combinaison de virus grippaux d’origine aviaire, porcine et humaine provoquait au minimum 151.700 morts ; certaines sources parlent de 200.000.
Par ailleurs, les scientifiques nous alertent depuis longtemps quant à l’imminence d’une pandémie de grippe aviaire.
L’importance de ce phénomène zoonotique est bien connu des instances officielles internationales et nationales. « Selon le Département étasunien de la santé, près de 16 % de tous les décès recensés au niveau mondial sont attribués à des maladies infectieuses, et les zoonoses représentent 60 % des maladies infectieuses connues et 75 % des maladies infectieuses émergentes », relatait récemment le National Geographic. Le centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation français le rapportait déjà très bien en 2014 et c’est un des champs de bataille de l’ONU.
Ce développement des pandémies déclenchées par des zoonoses s’accélère notamment à cause de la multiplication des élevages industriels, qui facilitent les contacts entre animaux et humains : « Parce que les élevages fortement concentrés ont tendance à rassembler d’importants groupes d’animaux sur une surface réduite, ils facilitent la transmission et le mélange des virus », précise Jacques Caplat, dans L’Agriculture biologique pour nourrir l’humanité.
La multiplication des élevages industriels est en partie responsable des nouvelles maladies infectieuses
D’autant plus que cette industrialisation massive de l’élevage s’accompagne d’une sélection des espèces en fonction de leur productivité. Les animaux y deviennent presque génétiquement identiques, avec un système immunitaire faible, et donc une capacité de résistance aux maladies amoindrie. Ce qui a aussi un effet direct sur notre santé, en engendrant l’utilisation massive d’antibiotiques.
En outre, pour nourrir les cheptels, l’industrie agroalimentaire pratique déforestation déchaînée et accaparement des terres aux fins de cultiver, à grand renfort d’eau, de pesticides, d’énergies fossiles, soja et maïs, qui contribuent au changement climatique. L’élevage est ainsi responsable de 63 % de la déforestation de la forêt amazonienne. En 2006, la [FAO|L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture] révélait dans son rapport « Livestock’s Long Shadow » que l’élevage était responsable de 18 % des émissions de gaz à effets de serre.
Et nous ne nous attarderons pas sur les traitements infligés aux hommes et aux animaux qui partagent dans ces élevages ce que l’humanité offre de plus brutal et de plus cruel. Qui, après avoir lu La Jungle, d’Upton Sinclair, ou regardé des images d’abattoir, souhaite à un nouveau-né de devenir « ouvrier de tuerie » ?
Ce constat est maintenant si partagé que de plus en plus de voix, scientifiques notamment, s’élèvent pour que nous sortions du modèle de l’élevage industriel.
De notre côté, nous souhaitons aller plus loin et appelons à un changement fondamental sur le long terme. Nous demandons la fin de la consommation de viande et de tout produit animal par souci de cohérence et d’égalité. En effet, une production de viande et de produits animaux à petite échelle ne pourra suffire à nourrir l’ensemble des êtres humains.
Si nous devions maintenir une alimentation carnée à l’échelle de la planète, et même en développant les modes de production biologique ou en plein air, il faudrait augmenter les cheptels actuels, lesquels ne peuvent être nourris qu’en gagnant des terres sur les zones sauvages, provoquant la destruction d’espèces, en incitant d’autres à se déplacer vers des zones habitées, ce qui facilitera d’autant la mise en contact avec des maladies jusque-là contenues par les barrières environnementales et animales. Autant d’occasions pour ces maladies de s’adapter et de se diffuser. La chimie des médicaments et des vaccins fera effet un temps, mais sera-t-elle toujours efficace et sans effets collatéraux ? Et qui y aura accès et à quel prix ?
La reconversion des éleveurs sera au cœur d’une telle politique
Le temps semble venu de dépasser le mode d’alimentation fondé sur l’élevage. Une réflexion libérée des héritages et des dogmes doit conduire à la mise en place d’une politique ambitieuse de fin de la consommation d’animaux et de leurs produits sur le long terme. Dès à présent, il est urgent de soutenir financièrement et humainement le développement de sources alternatives de protéines. Les protéines végétales (pois chiches, lentilles, céréales, noix, etc.) permettent aujourd’hui une cuisine alternative goûteuse et variée. Et leur culture nécessite beaucoup moins d’eau : 4.650 litres d’eau pour produire 1 kilo de protéines végétales, contre 7.600 litres pour 1 kilo de protéines animales.
Il est inacceptable de continuer à sacrifier des agriculteurs et des éleveurs aux intérêts de filières qui spéculent internationalement à court terme sur des produits dont les nuisances et les risques sanitaires qu’ils font peser sur l’ensemble de l’humanité sont avérés. C’est pourquoi la crise sanitaire engendrée par le Covid-19 met en lumière l’entière responsabilité des gouvernements quant à la mise en place, non seulement d’une politique de santé, mais aussi d’une politique alimentaire. Le temps est venu de réfléchir à une politique agricole où les outils financiers, légaux, scientifiques et éducatifs seront mis au service d’une alimentation fondée sur la production de protéines végétales. Cette nouvelle alimentation sera à destination de marchés continentaux et d’échanges justes, protégés par des traités dont l’objectif sera l’intérêt des agriculteurs et des populations. La reconversion des éleveurs sera au cœur d’une telle politique, notamment en ce qui concerne la prise en charge, voire l’annulation, des dettes contractées aux fins de développement et de « modernisation » des élevages sous la pression des filières.
Après cette crise, si les affaires reprennent comme avant, nous pouvons considérer que la prochaine crise sanitaire — due à une maladie, au dérèglement climatique ou à une catastrophe écologique — est déjà là.
C’est pourquoi nous vous proposons de signer la pétition qui accompagne cette lettre.
Par Marit de Haan (publié le 25/05/2020)
A lire sur le site Reporterre