16 Fév 2017
Depuis une dizaine d’années, les collectifs d’« énergie citoyenne » se multiplient pour créer des sociétés de production d’énergie renouvelable. Le but : échapper aux intérêts privés et à la spéculation. Des dizaines de projets ont déjà été réalisés. On pourrait généraliser la démarche en levant les freins législatifs et en donnant plus de pouvoir aux régions.
Du local au global est la série d’enquêtes que Reporterre consacre aux alternatives qui peuvent changer la société. En se demandant ce qui se passerait si les solutions n’étaient pas alternatives, mais appliquées à grande échelle.
La Rochelle, un soir de janvier inhabituellement froid, une trentaine de personnes se retrouvent dans un local associatif. Non pas pour se revigorer d’une bonne soupe, en dansant toute la nuit ou en chantant des slogans politiques. S’ils se réchauffent ce soir-là, ce n’est qu’en parlant d’énergie.
Mais d’énergie renouvelable, et citoyenne. Dans la salle, des membres de Colibris, de Cigales (des clubs d’investisseurs), quelques élus (de gauche), pas mal de sociétaires d’Enercoop, et quelques professionnels du domaine. Ils se réunissent pour fonder une nouvelle association, qui se veut une pépinière : « Notre objectif est de faire pousser sur notre territoire des sociétés de production d’énergie renouvelable et citoyenne », déclare Guy Martin, l’un des initiateurs du projet. Concrètement : imaginer, organiser et financer l’installation d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques, d’unités de méthanisation, etc., sans attendre que de grands groupes industriels s’en chargent à leur place.
Leur nom ? « À nous l’énergie ». Slogan parfait pour une asso qui se veut « outil de réappropriation collective de productions locales d’énergie ». « Si je m’engage, c’est pour mes petits-enfants, c’est à eux que je pense », explique Christine, une retraitée impliquée dans le projet depuis le début. Elle ne connaît pas grand-chose en électricité, et encore moins en « société de production d’énergie ». Tout comme son compagnon, Georges : « Je commence à me renseigner sur les lois, les décrets à propos de l’énergie. Je ne dis pas que ça me passionne, mais ça fait détective ! » Des citoyens lambda — ou presque, plutôt âgés, masculins et aisés — qui veulent passer aux actes en impulsant les projets d’énergie renouvelable dont on a tant besoin.
Guy Martin, lui, était ingénieur avant de prendre sa retraite et de participer à la création de la coopérative Enercoop Bretagne, qu’il a présidée pendant deux ans. « Cela demande beaucoup de temps, des compétences, de la détermination et de la passion », assure-t-il. De la détermination, Christophe Babin en a fait preuve. Agriculteur, éleveur laitier à Villedoux (Charente-Maritime), il s’est lancé dans le renouvelable en montant un projet de méthanisation, Méthadoux. « J’en avais ras-le-bol du système agricole, je me suis demandé ce que je pouvais apporter face au changement climatique. Je suis tombé sur la méthanisation : excellente pour le bilan carbone, elle diminue de 30 % le méthane émis par l’élevage. Et puis, il y a un lien avec le monde agricole, que je connais bien. »
Le Terre de liens de l’énergie
Son idée : mutualiser les déchets agricoles des agriculteurs locaux et mettre en place une unité de méthanisation afin de produire de l’électricité et de la chaleur. Pour y parvenir, depuis 2007, Christophe et les autres agriculteurs engagés dans le projet ont dû démarcher des partenaires et mener des études de faisabilité. En parallèle, Christophe a arrêté l’agriculture pour se consacrer à toutes ces démarches. « Je me suis formé tout seul, à force de rencontres et d’échanges avec les bureaux d’études », explique-t-il.
Au fil de leur avancée, deux questions principales finissent par se poser : quelle solution technique de méthanisation choisir, et comment la financer ? Pour la première, ils optent finalement pour la production de gaz (plutôt que la cogénération), qui sera directement injectée sur le réseau urbain. « Ce procédé a un rendement de 88 à 90 %, il y a très peu de perte. L’objectif est d’apporter 60 tonnes de matière par jour, pour produire 150 m³ de gaz par heure, soit la consommation de 1.400 foyers sur une année », précise M. Babin.
La seconde question est plus complexe à régler. Des partenaires arrivent, puis repartent. Un syndicat mixte voisin est intéressé : il demande à détenir 51 % du capital de la future structure, soit la majorité. « On a tout de suite dit non. À ce moment-là, quelqu’un m’a parlé d’Énergie partagée, on les a contactés, et en quelques mois, le projet était validé. » Les agriculteurs, associés à un club Cigales apporteront 35 % du montant total et Énergie partagée 16 % : soit 51 % du capital d’origine « citoyenne ».
Énergie partagée, c’est un peu le Terre de liens de l’énergie. D’un côté, une association (Énergie partagée), et de l’autre une « société en commandite par action » (SCA Énergie partagée investissement). L’association et ses relais sur le territoire accompagnent les porteurs de projet et les aident à trouver des partenaires. Puis, elle sélectionne ceux qui en ont le plus besoin afin de leur apporter un financement, via la SCA.
Au centre des débats, la question de la gestion des ressources communes et de l’argent qui en est tiré
Cette formule est née en 2010 de la convergence d’acteurs de la transition énergétique, face aux difficultés rencontrées par les projets pionniers. « Pour pouvoir appeler à l’investissement citoyen, il fallait avoir un visa de l’autorité des marchés financiers (AMF), un visa long et cher à obtenir, raconte Marc Mossalgue, d’Énergie partagée. Notre idée était d’avoir une structure intermédiaire qui demande le visa et qui collecte de l’investissement pour les projets locaux. » Plus de 4.500 personnes sont aujourd’hui actionnaires de cette SCA, pour 12 millions d’euros – la valorisation des actions étant de 4 % par an après les dix premières années. « Les gens qui investissent veulent participer à la transition énergétique. Ils ont de l’argent de côté, ils le placent ici comme sur un livret A, mais en plus utile. » Cela a déjà permis le financement de 31 projets, pour la plupart photovoltaïques, mais aussi éoliens, biomasse et hydraulique.
Depuis, la législation s’est quelque peu assouplie : il n’y a plus besoin du visa de l’AMF pour les projets qui demandent moins de 100.000 €, ou bien jusqu’à 5 millions si cela représente moins de la moitié du capital total. Mais Énergie partagée est devenu un acteur central dans le réseau des énergies renouvelables citoyennes. 300 à 400 projets ont été accompagnés, développés, formés par l’association, estime Marc Mossalgue.
Tous ces projets doivent respecter une charte, qui définit notamment les critères pour être qualifié de « citoyen » : ancrage local, finalité non spéculative, gouvernance ouverte, et exigence écologique.
Mais d’où vient cette volonté — louable a priori — d’impliquer les « citoyens » ? « Sur le terrain, si c’est EDF ou des gros industriels qui s’installent, ça génère des tensions locales, un sentiment d’envahissement. Tout cela n’arrive pas si l’on sollicite les gens, qu’on prend le temps de comprendre comment ils voient leur territoire face à la transition », explique Marc Mossalgue.
Les projets citoyens comme remèdes aux conflits autour des énergies renouvelables ? Frédéric Mariller, directeur d’Enercoop Rhône-Alpes, acquiesce : « Dans l’éolien aujourd’hui, il y a des recours systématiques, faits par des réseaux très bien organisés. Quand c’est des projets citoyens, c’est beaucoup plus dur : on passe d’une opposition dogmatique et stérile à une coconstruction. » Au centre des débats, la question de la gestion des ressources communes et de l’argent qui en est tiré : « Si on parle de projets citoyens, c’est pour que l’emploi et l’argent qui en sont issus ne partent pas ailleurs, vers des fonds de pension étrangers notamment. Un industriel espagnol me disait : “Vous avez du vent, nous venons l’exploiter” », témoigne Guy Martin. Marc Mossalgue parle de « terroir énergétique capté par les industriels ».
Une éducation populaire à l’énergie
Moyen d’accélérer la transition, l’énergie citoyenne traduit également une vision politique. « Le modèle français est très centralisé et étatique. Les gens ont perdu toute relation physique à la notion d’énergie : ils appuient sur un bouton, mais on ne veut surtout pas qu’ils se demandent ce qu’il y a derrière », selon Frédéric Mariller. Enercoop, qui a participé à la création d’Énergie partagée, parle aussi d’« énergie militante ». « Aujourd’hui, il n’y a plus de politique énergétique démocratique en France. C’est une politique des grands corps, administrative, où même les élus ont peu de poids », explique-t-il.
Question démocratique donc. Et aussi pratique : « Les énergies renouvelables sont très liées aux potentiels des territoires, et on ne peut plus les piloter à distance derrière un bureau, avec une planification à la mode militaire. Il faut aller sur le terrain, analyser les spécificités locales », poursuit Mariller. Pour lui, c’est une des raisons du retard français dans ce domaine. « Ce n’est pas parce qu’ils sont écolos que les Allemands sont en avance, avec 60 à 70 % de projets citoyens, mais parce qu’ils sont organisés en régions, avec une implication locale plus forte, un tissu industriel éclaté. Tandis que le réseau électrique français est descendant : des gros sites de production qui irriguent la consommation locale. Il n’est pas adapté pour accueillir facilement la production locale proche de la consommation », poursuit-il, sans oublier l’importance de l’équilibre global à gérer selon la météo.
Pour les acteurs citoyens de l’énergie, c’est cette culture française de l’énergie, centralisée et élitiste, qui doit évoluer si l’on veut tendre vers l’exemple allemand. « Avant la guerre, ce n’était pas comme ça : les territoires géraient leur production. C’était peut-être un peu plus le bazar, mais il y avait des compétences locales, une expertise », rappelle Marc Mossalgue. Énergie partagée a donc aussi un rôle d’éducation populaire. En 2015, elle a ainsi mis en ligne une BD expliquant l’énergie et son histoire, Ma propre énergie.
Énergie partagée comme Enercoop (et ses dix coopératives) cherchent aujourd’hui à se structurer régionalement, grâce aussi à des associations comme A nous l’énergie. « Je me rends compte que l’implication et la connaissance du sujet par les élus locaux sont sans commune mesure. Si les réseaux étaient gérés au niveau régional, les évolutions iraient beaucoup plus vite », estime Frédéric Mariller. Autre frein, le coût des études de projet, surtout importantes pour l’éolien, qui représentent un risque financier important : « EDF peut proposer 30 projets, si 10 seulement sont retenus, ceux-là compensent les sommes engagées. Mais un acteur local ne peut en proposer qu’un ou deux, et si c’est refusé, il perd beaucoup d’argent », explique Mariller. D’où une réflexion en cours pour mutualiser ces risques au niveau national à travers Énergie partagée.
Par Baptiste Giraud
A lire sur reporterre.net (10/02/2017)
Du local au global est la série d’enquêtes que Reporterre consacre aux alternatives qui peuvent changer la société. En se demandant ce qui se passerait si les solutions n’étaient pas alternatives, mais appliquées à grande échelle.
La Rochelle, un soir de janvier inhabituellement froid, une trentaine de personnes se retrouvent dans un local associatif. Non pas pour se revigorer d’une bonne soupe, en dansant toute la nuit ou en chantant des slogans politiques. S’ils se réchauffent ce soir-là, ce n’est qu’en parlant d’énergie.
Mais d’énergie renouvelable, et citoyenne. Dans la salle, des membres de Colibris, de Cigales (des clubs d’investisseurs), quelques élus (de gauche), pas mal de sociétaires d’Enercoop, et quelques professionnels du domaine. Ils se réunissent pour fonder une nouvelle association, qui se veut une pépinière : « Notre objectif est de faire pousser sur notre territoire des sociétés de production d’énergie renouvelable et citoyenne », déclare Guy Martin, l’un des initiateurs du projet. Concrètement : imaginer, organiser et financer l’installation d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques, d’unités de méthanisation, etc., sans attendre que de grands groupes industriels s’en chargent à leur place.
Leur nom ? « À nous l’énergie ». Slogan parfait pour une asso qui se veut « outil de réappropriation collective de productions locales d’énergie ». « Si je m’engage, c’est pour mes petits-enfants, c’est à eux que je pense », explique Christine, une retraitée impliquée dans le projet depuis le début. Elle ne connaît pas grand-chose en électricité, et encore moins en « société de production d’énergie ». Tout comme son compagnon, Georges : « Je commence à me renseigner sur les lois, les décrets à propos de l’énergie. Je ne dis pas que ça me passionne, mais ça fait détective ! » Des citoyens lambda — ou presque, plutôt âgés, masculins et aisés — qui veulent passer aux actes en impulsant les projets d’énergie renouvelable dont on a tant besoin.
Guy Martin, lui, était ingénieur avant de prendre sa retraite et de participer à la création de la coopérative Enercoop Bretagne, qu’il a présidée pendant deux ans. « Cela demande beaucoup de temps, des compétences, de la détermination et de la passion », assure-t-il. De la détermination, Christophe Babin en a fait preuve. Agriculteur, éleveur laitier à Villedoux (Charente-Maritime), il s’est lancé dans le renouvelable en montant un projet de méthanisation, Méthadoux. « J’en avais ras-le-bol du système agricole, je me suis demandé ce que je pouvais apporter face au changement climatique. Je suis tombé sur la méthanisation : excellente pour le bilan carbone, elle diminue de 30 % le méthane émis par l’élevage. Et puis, il y a un lien avec le monde agricole, que je connais bien. »
Le Terre de liens de l’énergie
Son idée : mutualiser les déchets agricoles des agriculteurs locaux et mettre en place une unité de méthanisation afin de produire de l’électricité et de la chaleur. Pour y parvenir, depuis 2007, Christophe et les autres agriculteurs engagés dans le projet ont dû démarcher des partenaires et mener des études de faisabilité. En parallèle, Christophe a arrêté l’agriculture pour se consacrer à toutes ces démarches. « Je me suis formé tout seul, à force de rencontres et d’échanges avec les bureaux d’études », explique-t-il.
Au fil de leur avancée, deux questions principales finissent par se poser : quelle solution technique de méthanisation choisir, et comment la financer ? Pour la première, ils optent finalement pour la production de gaz (plutôt que la cogénération), qui sera directement injectée sur le réseau urbain. « Ce procédé a un rendement de 88 à 90 %, il y a très peu de perte. L’objectif est d’apporter 60 tonnes de matière par jour, pour produire 150 m³ de gaz par heure, soit la consommation de 1.400 foyers sur une année », précise M. Babin.
La seconde question est plus complexe à régler. Des partenaires arrivent, puis repartent. Un syndicat mixte voisin est intéressé : il demande à détenir 51 % du capital de la future structure, soit la majorité. « On a tout de suite dit non. À ce moment-là, quelqu’un m’a parlé d’Énergie partagée, on les a contactés, et en quelques mois, le projet était validé. » Les agriculteurs, associés à un club Cigales apporteront 35 % du montant total et Énergie partagée 16 % : soit 51 % du capital d’origine « citoyenne ».
Énergie partagée, c’est un peu le Terre de liens de l’énergie. D’un côté, une association (Énergie partagée), et de l’autre une « société en commandite par action » (SCA Énergie partagée investissement). L’association et ses relais sur le territoire accompagnent les porteurs de projet et les aident à trouver des partenaires. Puis, elle sélectionne ceux qui en ont le plus besoin afin de leur apporter un financement, via la SCA.
Au centre des débats, la question de la gestion des ressources communes et de l’argent qui en est tiré
Cette formule est née en 2010 de la convergence d’acteurs de la transition énergétique, face aux difficultés rencontrées par les projets pionniers. « Pour pouvoir appeler à l’investissement citoyen, il fallait avoir un visa de l’autorité des marchés financiers (AMF), un visa long et cher à obtenir, raconte Marc Mossalgue, d’Énergie partagée. Notre idée était d’avoir une structure intermédiaire qui demande le visa et qui collecte de l’investissement pour les projets locaux. » Plus de 4.500 personnes sont aujourd’hui actionnaires de cette SCA, pour 12 millions d’euros – la valorisation des actions étant de 4 % par an après les dix premières années. « Les gens qui investissent veulent participer à la transition énergétique. Ils ont de l’argent de côté, ils le placent ici comme sur un livret A, mais en plus utile. » Cela a déjà permis le financement de 31 projets, pour la plupart photovoltaïques, mais aussi éoliens, biomasse et hydraulique.
Depuis, la législation s’est quelque peu assouplie : il n’y a plus besoin du visa de l’AMF pour les projets qui demandent moins de 100.000 €, ou bien jusqu’à 5 millions si cela représente moins de la moitié du capital total. Mais Énergie partagée est devenu un acteur central dans le réseau des énergies renouvelables citoyennes. 300 à 400 projets ont été accompagnés, développés, formés par l’association, estime Marc Mossalgue.
Tous ces projets doivent respecter une charte, qui définit notamment les critères pour être qualifié de « citoyen » : ancrage local, finalité non spéculative, gouvernance ouverte, et exigence écologique.
Mais d’où vient cette volonté — louable a priori — d’impliquer les « citoyens » ? « Sur le terrain, si c’est EDF ou des gros industriels qui s’installent, ça génère des tensions locales, un sentiment d’envahissement. Tout cela n’arrive pas si l’on sollicite les gens, qu’on prend le temps de comprendre comment ils voient leur territoire face à la transition », explique Marc Mossalgue.
Les projets citoyens comme remèdes aux conflits autour des énergies renouvelables ? Frédéric Mariller, directeur d’Enercoop Rhône-Alpes, acquiesce : « Dans l’éolien aujourd’hui, il y a des recours systématiques, faits par des réseaux très bien organisés. Quand c’est des projets citoyens, c’est beaucoup plus dur : on passe d’une opposition dogmatique et stérile à une coconstruction. » Au centre des débats, la question de la gestion des ressources communes et de l’argent qui en est tiré : « Si on parle de projets citoyens, c’est pour que l’emploi et l’argent qui en sont issus ne partent pas ailleurs, vers des fonds de pension étrangers notamment. Un industriel espagnol me disait : “Vous avez du vent, nous venons l’exploiter” », témoigne Guy Martin. Marc Mossalgue parle de « terroir énergétique capté par les industriels ».
Une éducation populaire à l’énergie
Moyen d’accélérer la transition, l’énergie citoyenne traduit également une vision politique. « Le modèle français est très centralisé et étatique. Les gens ont perdu toute relation physique à la notion d’énergie : ils appuient sur un bouton, mais on ne veut surtout pas qu’ils se demandent ce qu’il y a derrière », selon Frédéric Mariller. Enercoop, qui a participé à la création d’Énergie partagée, parle aussi d’« énergie militante ». « Aujourd’hui, il n’y a plus de politique énergétique démocratique en France. C’est une politique des grands corps, administrative, où même les élus ont peu de poids », explique-t-il.
Question démocratique donc. Et aussi pratique : « Les énergies renouvelables sont très liées aux potentiels des territoires, et on ne peut plus les piloter à distance derrière un bureau, avec une planification à la mode militaire. Il faut aller sur le terrain, analyser les spécificités locales », poursuit Mariller. Pour lui, c’est une des raisons du retard français dans ce domaine. « Ce n’est pas parce qu’ils sont écolos que les Allemands sont en avance, avec 60 à 70 % de projets citoyens, mais parce qu’ils sont organisés en régions, avec une implication locale plus forte, un tissu industriel éclaté. Tandis que le réseau électrique français est descendant : des gros sites de production qui irriguent la consommation locale. Il n’est pas adapté pour accueillir facilement la production locale proche de la consommation », poursuit-il, sans oublier l’importance de l’équilibre global à gérer selon la météo.
Pour les acteurs citoyens de l’énergie, c’est cette culture française de l’énergie, centralisée et élitiste, qui doit évoluer si l’on veut tendre vers l’exemple allemand. « Avant la guerre, ce n’était pas comme ça : les territoires géraient leur production. C’était peut-être un peu plus le bazar, mais il y avait des compétences locales, une expertise », rappelle Marc Mossalgue. Énergie partagée a donc aussi un rôle d’éducation populaire. En 2015, elle a ainsi mis en ligne une BD expliquant l’énergie et son histoire, Ma propre énergie.
Énergie partagée comme Enercoop (et ses dix coopératives) cherchent aujourd’hui à se structurer régionalement, grâce aussi à des associations comme A nous l’énergie. « Je me rends compte que l’implication et la connaissance du sujet par les élus locaux sont sans commune mesure. Si les réseaux étaient gérés au niveau régional, les évolutions iraient beaucoup plus vite », estime Frédéric Mariller. Autre frein, le coût des études de projet, surtout importantes pour l’éolien, qui représentent un risque financier important : « EDF peut proposer 30 projets, si 10 seulement sont retenus, ceux-là compensent les sommes engagées. Mais un acteur local ne peut en proposer qu’un ou deux, et si c’est refusé, il perd beaucoup d’argent », explique Mariller. D’où une réflexion en cours pour mutualiser ces risques au niveau national à travers Énergie partagée.
Par Baptiste Giraud
A lire sur reporterre.net (10/02/2017)