16 Fév 2015
À la suite des révélations SwissLeaks, le journal De Morgen publie aujourd’hui une carte blanche dans laquelle je propose trois axes d’action afin d’éviter de nouveaux scandales fiscaux. Le texte en ligne est à lire ici (en néerlandais), je vous livre ci-dessous la version française.
Après OffshoreLeaks (2012), LuxLeaks (2014), voici SwissLeaks, l’édition 2015 de la saga de l’évasion et de la fraude fiscales commises par les plus gros contribuables, individus et entreprises (les bénéfices de ces dernières alimentant le patrimoine des premiers). Lorsque la justice fiscale, qui veut que chacun contribue à la mesure de ses capacités, est bafouée, c’est la démocratie et au-delà, l’idée même de vie en société qui est en jeu. Or, ce que ces révélations à répétition nous montrent, c’est que ce phénomène s’est développé avec la complicité active des gouvernements, c’est-à-dire de ceux-là même qui ont la responsabilité de l’intérêt général.
Faire de la compétition l’alpha et l’oméga de la politique fiscale, c’est faire le jeu des contribuables qui ont les moyens au mieux d’exploiter les incohérences du système, au pire de jouer un Etat contre l’autre. Entretemps, cette compétition est devenue une véritable guerre dont les victimes sont le plus grand nombre des contribuables, classes moyennes et en particulier les plus précaires de nos concitoyens. Créer de toutes pièces des paradis fiscaux au sein même de nos législations fiscales, refuser de s’attaquer sérieusement à ceux qui existent aux marges, proches ou lointaines, de nos pays, combattre la transparence bancaire, comptable et fiscale ou encore priver les administrations fiscales des moyens d’accomplir leur missions, voilà autant de décisions prises par les gouvernements européens ces dernières décennies qui ont fait d’eux à tout le moins les co-responsables des horreurs financières qu’ils feignent de découvrir depuis le début de la saga.
Les extraordinaires inégalités de patrimoine illustrées par l’ouvrage majeur de Thomas Piketty l’été dernier ne sont pas le fruit du hasard ; leur réduction dépend d’abord et avant tout d’un choix politique. Il est désormais temps pour les dirigeants européens, au niveau de l’Union Européenne et de chacun de ses Etats-Membres, de choisir leur camp. Nous attendons de leur part une action déterminée selon trois axes :
1. Assurer le respect des lois existantes : qu’il s’agisse de droit fiscal proprement dit ou de respect des règles européennes sur les aides d’Etat, il importe que la législation soit respectée. Ceci suppose que les inspections nationales des impôts et les services de la Commission Européenne se voient dotés des moyens humains et matériels d’enquêter et d’amener les contrevenants devant les tribunaux. Il s’agit aussi de traquer les sociétés-écrans ou les abus dans les prix de transfert, souvent interdits mais tolérés, pour ne pas dire encouragés. Il s’agit aussi de mettre en place un régime de sanctions rendant difficiles voire impossibles les relations financières avec des paradis fiscaux ; l’amende infligée par le gouvernement US à BNP-Paribas pour avoir traité en dollars avec le Soudan, l’Iran et Cuba montre que c’est possible.
2. Augmenter la transparence : la fraude et l’évasion se nourrissent tout d’abord de l’opacité. Mettre un terme au secret bancaire, non seulement pour les individus mais aussi pour les entreprises, rendre publics les bénéficiaires de tous les véhicules financiers opaques tels que fondations, trusts, sociétés écrans,…, obliger les entreprises trans-nationales à publier leurs comptes pays-par-pays ainsi que les rulings fiscaux dont elles bénéficient, protéger les lanceurs d’alertes sans qui le débat actuel n’aurait pas lieu… Voici autant de mesures qui rendront la fraude et l’évasion plus difficiles et leur prix en termes de réputation de plus en plus exorbitant.
3. Abandonner le dogme de la compétition fiscale entre les Etats, entre les régions, pour mettre en place une fiscalité harmonisée au niveau européen (à défaut de mondial) à commencer par l’impôt des sociétés et l’impôt sur le patrimoine. Et si ce n’est pas possible à 28 – vu la règle de l’unanimité encore en vigueur dans l’UE -, il sera toujours possible à la « coalition des volontaires » de lancer le processus.
Aujourd’hui, toutes les familles politiques semblent unies dans l’indignation ; il reste à voir si elles voudront traduire leurs mots en actes. De ce point de vue, le rejet jeudi dernier par une majorité PPE-socialiste-libérale-conservatrice de la mise en place d’une commission d’enquête du Parlement Européen sur la fraude et l’évasion fiscales est de mauvais augure. On aimerait, au nom de la « goed bestuur » si chère à la NVA, dont un des membres est aujourd’hui ministre des Finances, que la Belgique prenne, au sein du Conseil des Ministres européens des finances (EcoFin) la tête de cette croisade pour la justice fiscale. Mais Johan Van Overtveldt, en bon ultra-libéral, m’objectera sans doute que protéger les riches, c’est servir l’intérêt général. Il y aurait beaucoup à dire sur ce lieu-commun de la pensée unique, mais ce sera pour une autre fois.
Par Philippe Lamberts (10/02/2015)
Lire sur le site de Philippe Lamberts
Après OffshoreLeaks (2012), LuxLeaks (2014), voici SwissLeaks, l’édition 2015 de la saga de l’évasion et de la fraude fiscales commises par les plus gros contribuables, individus et entreprises (les bénéfices de ces dernières alimentant le patrimoine des premiers). Lorsque la justice fiscale, qui veut que chacun contribue à la mesure de ses capacités, est bafouée, c’est la démocratie et au-delà, l’idée même de vie en société qui est en jeu. Or, ce que ces révélations à répétition nous montrent, c’est que ce phénomène s’est développé avec la complicité active des gouvernements, c’est-à-dire de ceux-là même qui ont la responsabilité de l’intérêt général.
Faire de la compétition l’alpha et l’oméga de la politique fiscale, c’est faire le jeu des contribuables qui ont les moyens au mieux d’exploiter les incohérences du système, au pire de jouer un Etat contre l’autre. Entretemps, cette compétition est devenue une véritable guerre dont les victimes sont le plus grand nombre des contribuables, classes moyennes et en particulier les plus précaires de nos concitoyens. Créer de toutes pièces des paradis fiscaux au sein même de nos législations fiscales, refuser de s’attaquer sérieusement à ceux qui existent aux marges, proches ou lointaines, de nos pays, combattre la transparence bancaire, comptable et fiscale ou encore priver les administrations fiscales des moyens d’accomplir leur missions, voilà autant de décisions prises par les gouvernements européens ces dernières décennies qui ont fait d’eux à tout le moins les co-responsables des horreurs financières qu’ils feignent de découvrir depuis le début de la saga.
Les extraordinaires inégalités de patrimoine illustrées par l’ouvrage majeur de Thomas Piketty l’été dernier ne sont pas le fruit du hasard ; leur réduction dépend d’abord et avant tout d’un choix politique. Il est désormais temps pour les dirigeants européens, au niveau de l’Union Européenne et de chacun de ses Etats-Membres, de choisir leur camp. Nous attendons de leur part une action déterminée selon trois axes :
1. Assurer le respect des lois existantes : qu’il s’agisse de droit fiscal proprement dit ou de respect des règles européennes sur les aides d’Etat, il importe que la législation soit respectée. Ceci suppose que les inspections nationales des impôts et les services de la Commission Européenne se voient dotés des moyens humains et matériels d’enquêter et d’amener les contrevenants devant les tribunaux. Il s’agit aussi de traquer les sociétés-écrans ou les abus dans les prix de transfert, souvent interdits mais tolérés, pour ne pas dire encouragés. Il s’agit aussi de mettre en place un régime de sanctions rendant difficiles voire impossibles les relations financières avec des paradis fiscaux ; l’amende infligée par le gouvernement US à BNP-Paribas pour avoir traité en dollars avec le Soudan, l’Iran et Cuba montre que c’est possible.
2. Augmenter la transparence : la fraude et l’évasion se nourrissent tout d’abord de l’opacité. Mettre un terme au secret bancaire, non seulement pour les individus mais aussi pour les entreprises, rendre publics les bénéficiaires de tous les véhicules financiers opaques tels que fondations, trusts, sociétés écrans,…, obliger les entreprises trans-nationales à publier leurs comptes pays-par-pays ainsi que les rulings fiscaux dont elles bénéficient, protéger les lanceurs d’alertes sans qui le débat actuel n’aurait pas lieu… Voici autant de mesures qui rendront la fraude et l’évasion plus difficiles et leur prix en termes de réputation de plus en plus exorbitant.
3. Abandonner le dogme de la compétition fiscale entre les Etats, entre les régions, pour mettre en place une fiscalité harmonisée au niveau européen (à défaut de mondial) à commencer par l’impôt des sociétés et l’impôt sur le patrimoine. Et si ce n’est pas possible à 28 – vu la règle de l’unanimité encore en vigueur dans l’UE -, il sera toujours possible à la « coalition des volontaires » de lancer le processus.
Aujourd’hui, toutes les familles politiques semblent unies dans l’indignation ; il reste à voir si elles voudront traduire leurs mots en actes. De ce point de vue, le rejet jeudi dernier par une majorité PPE-socialiste-libérale-conservatrice de la mise en place d’une commission d’enquête du Parlement Européen sur la fraude et l’évasion fiscales est de mauvais augure. On aimerait, au nom de la « goed bestuur » si chère à la NVA, dont un des membres est aujourd’hui ministre des Finances, que la Belgique prenne, au sein du Conseil des Ministres européens des finances (EcoFin) la tête de cette croisade pour la justice fiscale. Mais Johan Van Overtveldt, en bon ultra-libéral, m’objectera sans doute que protéger les riches, c’est servir l’intérêt général. Il y aurait beaucoup à dire sur ce lieu-commun de la pensée unique, mais ce sera pour une autre fois.
Par Philippe Lamberts (10/02/2015)
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