31 Mar 2018
« Il y avait la foi dans la révolution et dans l’avenir », écrivit George Orwell dans son Hommage à la Catalogne. Aux quatre coins du monde, les partisans de la justice sociale n’en finissent pas d’honorer l’Espagne progressiste, défaite à la fin des années 1930 par les fascismes européens : cette mémoire est nôtre, mais notre époque nous requiert et nous pousse à la jeter, ressourcée et vivante, dans la bataille qui se joue sous nos yeux au Rojava, en Syrie.
Un projet d’émancipation
Il faut parler des civils, bien sûr, qu’ils soient bombardés à Afrin par l’État turc et ses alliés jihadistes comme à la Ghouta par le régime d’Assad et ses soutiens. Il faut dénoncer la « catastrophe humanitaire » provoquée au Rojava par l’invasion turque, bien sûr, et écouter le Comité international de la Croix-Rouge alerter sur les « besoins » des familles et le Croissant rouge du Kurdistan lancer « un appel à l’aide ». Mais, pour essentielles qu’elles soient, ces interpellations ne suffisent pas : ne taisons pas l’alternative politique émancipatrice proposée par le Rojava depuis 2012, étendue depuis à presque tout le nord de la Syrie.
Brisons le silence, comme le demandent aujourd’hui ses partisans, pour rendre compte d’une perspective singulière qui tente de se frayer un chemin, dans un pays ravagé par sept années d’une guerre qui touche aussi l’Europe, entre l’autocratisme ethnique d’une République arabe syrienne et la théocratie louée par trop de ses opposants. Une alternative antifasciste portée par le Mouvement pour la société démocratique (TEV-DEM) et protégée par les unités d’autodéfense YPG/J ainsi que leurs partenaires des Forces démocratiques syriennes. Forts de deux contrats sociaux, établis en 2014 et 2016, le Rojava (et ses trois cantons auto-administrés : Afrin, Kobané et Djézireh) ainsi que la Fédération démocratique de la Syrie du Nord promeuvent la justice sociale, les libertés individuelles et politiques, la démocratie directe, la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité entre les sexes, l’écologie et l’interdiction de la peine de mort et de la torture. Une alternative syrienne qui implique à égalité, et dans le respect des frontières du Moyen-Orient, les Kurdes, les Arabes, les Assyriens, les Syriaques, les Chaldéens, les Turkmènes, les Arméniens et les Tchétchènes — qu’ils soient musulmans sunnites ou alaouites, chrétiens, yézidis ou athées.
Brisons le silence, pour que la défense du Rojava ne soit plus, en Occident et plus encore en France, l’otage de quelques avocats médiatiques « des Kurdes », essentialistes embarqués dans on ne sait quelle campagne pour « nos valeurs » : non, la population mosaïque du Rojava et de la Syrie du nord ne se bat pas pour la sauvegarde de nos « démocraties » libérales.
Il n’est à l’évidence pas question de prétendre à un miracle ni de brosser le portrait d’un territoire enfin affranchi des dominations qui, là-bas comme partout ailleurs, font rage : les contradictions abondent au quotidien et on ne peut qu’évoquer un processus à l’œuvre — une expérience concrète « très différente de tout ce qui se trouve en Syrie », estime ainsi Noam Chomsky. Il est en revanche certain que la possibilité de voir cette révolution aboutir un jour sera écrasée dans l’œuf si le gouvernement turc et ses alliés théocrates (groupes rebelles syriens armés, débris de Daech et d’Al-Qaïda) l’emportent dans les mois à venir.
Place aux peuples
Emmanuel Macron a reçu le président Erdoğan au début du mois de janvier 2018. Quand ce dernier ne marchande pas la rétention d’environ trois millions de réfugiés en menaçant à tout instant l’Union européenne d’ouvrir ses frontières, quand il ne remplit pas ses prisons de journalistes, d’écrivains, d’artistes et de militants démocrates, féministes ou LGBT, quand il ne s’illustre pas dans les crimes de guerre, le voici qui parle de « croisade », soutient le jihad au nord de la Syrie et annonce qu’il entend bien y rester. Puis raille les combattants kurdes qui auraient « fui [Afrin] la queue entre les jambes » — rien n’est moins vrai : la ville a volontairement été évacuée afin de protéger les populations, l’État turc ayant déjà assassiné plus de 500 civils depuis le lancement, il y a deux mois, de l’opération Rameau d’olivier. La résistance n’en continue pas moins : ce retrait en garantit la réorientation stratégique.
Lors de son séjour en France, ce même Erdoğan a appelé à ce que les échanges commerciaux soient portés à 20 milliards de dollars (contre actuellement 13,4), supervisé l’achat de vingt-cinq Airbus et signé un contrat de défense aérienne et anti-missile. « Une communauté de vues et d’intérêts stratégiques », a commenté Emmanuel Macron. Avant de se fendre, dans les colonnes du Figaro, d’un vibrant appel à « la précaution et à la retenue », dans le cadre de l’invasion du Rojava, tout en faisant siens les éléments de langage de son homologue turc en qualifiant les unités YPG/J de « potentiels terroristes ».
L’Espagne est tombée, le Chili de l’Unité populaire est tombé ; le Rojava tient encore. Brisons le silence, oui, construisons ici des solidarités concrètes et faisons-nous l’écho des revendications des populations concernées : un couloir humanitaire et la création d’une zone d’exclusion aérienne. Sans quoi, il nous faudra encore parler de cet espoir au passé.
A lire sur revue-ballast.fr
Un projet d’émancipation
Il faut parler des civils, bien sûr, qu’ils soient bombardés à Afrin par l’État turc et ses alliés jihadistes comme à la Ghouta par le régime d’Assad et ses soutiens. Il faut dénoncer la « catastrophe humanitaire » provoquée au Rojava par l’invasion turque, bien sûr, et écouter le Comité international de la Croix-Rouge alerter sur les « besoins » des familles et le Croissant rouge du Kurdistan lancer « un appel à l’aide ». Mais, pour essentielles qu’elles soient, ces interpellations ne suffisent pas : ne taisons pas l’alternative politique émancipatrice proposée par le Rojava depuis 2012, étendue depuis à presque tout le nord de la Syrie.
Brisons le silence, comme le demandent aujourd’hui ses partisans, pour rendre compte d’une perspective singulière qui tente de se frayer un chemin, dans un pays ravagé par sept années d’une guerre qui touche aussi l’Europe, entre l’autocratisme ethnique d’une République arabe syrienne et la théocratie louée par trop de ses opposants. Une alternative antifasciste portée par le Mouvement pour la société démocratique (TEV-DEM) et protégée par les unités d’autodéfense YPG/J ainsi que leurs partenaires des Forces démocratiques syriennes. Forts de deux contrats sociaux, établis en 2014 et 2016, le Rojava (et ses trois cantons auto-administrés : Afrin, Kobané et Djézireh) ainsi que la Fédération démocratique de la Syrie du Nord promeuvent la justice sociale, les libertés individuelles et politiques, la démocratie directe, la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité entre les sexes, l’écologie et l’interdiction de la peine de mort et de la torture. Une alternative syrienne qui implique à égalité, et dans le respect des frontières du Moyen-Orient, les Kurdes, les Arabes, les Assyriens, les Syriaques, les Chaldéens, les Turkmènes, les Arméniens et les Tchétchènes — qu’ils soient musulmans sunnites ou alaouites, chrétiens, yézidis ou athées.
Brisons le silence, pour que la défense du Rojava ne soit plus, en Occident et plus encore en France, l’otage de quelques avocats médiatiques « des Kurdes », essentialistes embarqués dans on ne sait quelle campagne pour « nos valeurs » : non, la population mosaïque du Rojava et de la Syrie du nord ne se bat pas pour la sauvegarde de nos « démocraties » libérales.
Il n’est à l’évidence pas question de prétendre à un miracle ni de brosser le portrait d’un territoire enfin affranchi des dominations qui, là-bas comme partout ailleurs, font rage : les contradictions abondent au quotidien et on ne peut qu’évoquer un processus à l’œuvre — une expérience concrète « très différente de tout ce qui se trouve en Syrie », estime ainsi Noam Chomsky. Il est en revanche certain que la possibilité de voir cette révolution aboutir un jour sera écrasée dans l’œuf si le gouvernement turc et ses alliés théocrates (groupes rebelles syriens armés, débris de Daech et d’Al-Qaïda) l’emportent dans les mois à venir.
Place aux peuples
Emmanuel Macron a reçu le président Erdoğan au début du mois de janvier 2018. Quand ce dernier ne marchande pas la rétention d’environ trois millions de réfugiés en menaçant à tout instant l’Union européenne d’ouvrir ses frontières, quand il ne remplit pas ses prisons de journalistes, d’écrivains, d’artistes et de militants démocrates, féministes ou LGBT, quand il ne s’illustre pas dans les crimes de guerre, le voici qui parle de « croisade », soutient le jihad au nord de la Syrie et annonce qu’il entend bien y rester. Puis raille les combattants kurdes qui auraient « fui [Afrin] la queue entre les jambes » — rien n’est moins vrai : la ville a volontairement été évacuée afin de protéger les populations, l’État turc ayant déjà assassiné plus de 500 civils depuis le lancement, il y a deux mois, de l’opération Rameau d’olivier. La résistance n’en continue pas moins : ce retrait en garantit la réorientation stratégique.
Lors de son séjour en France, ce même Erdoğan a appelé à ce que les échanges commerciaux soient portés à 20 milliards de dollars (contre actuellement 13,4), supervisé l’achat de vingt-cinq Airbus et signé un contrat de défense aérienne et anti-missile. « Une communauté de vues et d’intérêts stratégiques », a commenté Emmanuel Macron. Avant de se fendre, dans les colonnes du Figaro, d’un vibrant appel à « la précaution et à la retenue », dans le cadre de l’invasion du Rojava, tout en faisant siens les éléments de langage de son homologue turc en qualifiant les unités YPG/J de « potentiels terroristes ».
L’Espagne est tombée, le Chili de l’Unité populaire est tombé ; le Rojava tient encore. Brisons le silence, oui, construisons ici des solidarités concrètes et faisons-nous l’écho des revendications des populations concernées : un couloir humanitaire et la création d’une zone d’exclusion aérienne. Sans quoi, il nous faudra encore parler de cet espoir au passé.
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