05 Avr 2019
Le grand débat s’achève sur quelques positions de principes irréconciliables. D’un côté, l’exigence de justice fiscale et de remise à plat de la fiscalité ressort comme une préoccupation première des Français. La note de synthèse de Make.orgplace ainsi dans les trois premières places les sujets de fiscalité et retient cinq propositions fiscales parmi les propositions de consensus. Les sept controverses identifiées par Make.org incluent le rétablissement de l’ISF et la fiscalité des successions.
L’exigence de justice fiscale et de remise à plat de la fiscalité ressort comme une préoccupation première des Français mais le gouvernement cherche à fermer le débat fiscal
De l’autre, le gouvernement et la majorité cherchent plutôt à fermer ce débat, à la fois par crainte de la fatigue fiscale (les seules modifications de la fiscalité possibles seraient des baisses ou des suppressions d’impôt) et par un conservatisme assumé pour éviter de compromettre la réforme de la fiscalité du capital initiée au début du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Ajoutons à cela qu’il est difficile de procéder par référendum ou sondage sur la fiscalité. L’équilibre s’accommode mal de l’agrégation aussi fine soit-elle des intérêts de chacun. Le consentement à l’impôt implique le contrôle démocratique et le décentrement (taxes are what we pay for a civilized society inscrit au fronton du bâtiment de l’administration fiscale fédérale des Etats-Unis). C’est donc plus la délibération et la représentation qui sont à même d’établir les contraintes que l’on impose.
Taxer plus l’héritage : nécessaire et impossible ?
La fiscalité des successions concentre ces oppositions. Comme le dossier d’Alternatives Economiques de février 2019 le rappelle, tout pousse à une hausse de l’imposition sur les héritages. Pas d’effet désincitatif, puisqu’on taxe en fin de vie ; difficile expatriation compte tenu de l’âge des décès ; montants considérables des successions (250 milliards d’euros par an) et très faible taxation (5 % des successions, autour de 12 milliards d’euros) ; grandes inégalités dans les patrimoines légués ; persistance de ces inégalités entre les générations.
Un impôt sur les successions renouvelé paraît en fait le seul moyen de réduire un peu les inégalités
Un impôt sur les successions renouvelé paraît en fait le seul moyen de réduire un peu les inégalités dans un monde où la mobilité sociale est perçue comme une promesse intenable. Pourtant, dans la plupart des pays développés, le mouvement a tendu vers moins de taxation des héritages. Et si celle-ci paraît faible en France, on aura vite fait d’avancer qu’elle y est bien plus haute que partout ailleurs en Europe, à l’exception de la Belgique.
Récemment, Terra Nova, France Stratégie mais aussi quelques membres de la majorité ou encore trois économistes proches d’Emmanuel Macron ont remis obstinément le couvert sur la nécessaire réforme de la fiscalité des successions. Mais le gouvernement et l’Elysée y opposent un refus poli, anticipant qu’une telle réforme serait largement impopulaire et difficile à conduire. L’opposition à ce que les républicains américains ont appelé la Death Tax est sans doute forte et marque la limite du consentement à l’impôt. L’affaire est d’autant plus grave que, s’il n’existe pas de trésor caché échappant à la taxation, c’est peut-être le cas pour les patrimoines transmis de génération en génération.
Une taxation pour supprimer beaucoup d’impôts
Le trésor caché est celui des plus-values – non réalisées ou réalisées – accumulées au fil des années par beaucoup de Françaises et Français, bien que concentrées chez les plus riches. Pour moitié ces plus-values sont financières, pour moitié elles sont immobilières. Pour un individu moyen, les gains de plus-values, nets de l’inflation, en moyenne depuis 20 ans, ont été de 2 500 euros par an pour les actifs financiers (soit 160 milliards d’euros par an) et de 2 400 euros pour les actifs immobiliers (soit 150 milliards d’euros par an, voir notre étude de 2012 sur ce sujet).
Le trésor caché est celui des plus-values accumulées au fil des ans concentrées chez les plus riches
Une taxation « raisonnable », à 30% – le taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) qui porte sur les revenus du capital – de ces plus-values rapporterait plus de 90 milliards d’euros. Cela permettrait d’annuler la taxation foncière (20 milliards d’euros), celle des mutations à titre onéreux (10 milliards d’euros) ainsi que les droits actuels de succession (12 milliards), voir l’IFI (autour de 1,5 milliard) et de dégager encore quelques dizaines de milliards d’euros supplémentaires au-delà de l’actuelle taxation des plus-values (mobilières 4,7 milliards d’euros) et immobilières (2,5 milliards d’euros). Il resterait encore presque 40 milliards d’euros par an.
Moderniser une fiscalité archaïque
Le but n’est pas seulement de taxer un flux de revenu qui échappe aujourd’hui à l’impôt mais surtout de moderniser une fiscalité archaïque, pénalisante et qui induit des comportements contre-productifs. La Death Tax disparaîtrait, emportant dans la tombe l’argument (un peu fallacieux) de double taxation (taxer à la mort des revenus déjà taxés).
Le but n’est pas seulement de taxer un flux de revenu qui échappe à l’impôt mais surtout de moderniser une fiscalité archaïque qui induit des comportements contre-productifs
La mobilité ne serait plus surtaxée et la propriété foncière n’entraînerait plus de grande disparité géographique. Tous les revenus tirés des actifs mobiliers et immobiliers seraient traités identiquement (taxés marginalement à 30%) sans distorsion induite par la fiscalité.
Les plus-values nettes de l’inflation peuvent être diminuées des investissements d’amélioration. Au lieu de prendre en compte l’inflation, on peut également inclure un rendement réel « normal », autour de 1 % par an pour tenir compte de la rémunération « normale » (nette d’impôt et de frais de gestion) de l’épargne – ce qui réduirait le rendement de 20 milliards. Le reste, les plus-values au-delà de l’inflation et d’un taux réel de 1% sont un enrichissement sans cause (sans travail ou sans épargne) dont il est difficile de justifier la non-imposition.
Une proposition
Particulièrement pour les plus-values immobilières, mais dans une certaine mesure pour les plus-values financières, ces plus-values sont latentes, c’est-à-dire non réalisées. Leur taxation chaque année pose des problèmes sans fin. Mais ces plus-values latentes bénéficient de régime d’exonération lié soit à la résidence principale soit à l’extinction des plus-values à la mort : au décès d’un contribuable, son patrimoine est évalué en vue de la succession. Les plus-values non réalisées de son vivant sont oubliées au moment de la transmission de son patrimoine.
La taxation des plus-values, opérée à la place de l’extinction de ces plus-values à la mort du contribuable, autoriserait une refonte ambitieuse de la fiscalité
Il suffit de revenir sur ce schéma, en se limitant aux plus-values nettes de la « taxe inflationniste » (éventuellement augmentée d’un taux réel normal) pour remplacer sainement la taxation des héritages. Un bien immobilier familial n’ayant pas connu une valorisation supérieure à l’inflation serait transmis sans aucune taxation : pas de plus-value réelle, pas de taxe sur l’héritage. L’épargne d’une vie de travail, placée sans risque à un taux réel faible ne serait pas imposée. En revanche, les plus-values d’un bien immobilier dans une zone tendue ou sur un portefeuille qui aurait capitalisé astucieusement les flux d’intérêt n’échapperaient plus à une taxation égale à celle des plus-values réalisées.
La taxation des plus-values, opérée à la place de l’extinction de ces plus-values à la mort du contribuable, autoriserait une refonte ambitieuse à la fois de l’impôt sur les successions, de la taxation du foncier, des droits de mutation. Elle achèverait la réforme de la fiscalité du capital ouverte par la suppression de l’ISF et l’introduction du PFU. En ajoutant une lutte efficace contre l’évasion fiscale, facilité par un principe de taxation simple et moderne, on pourrait grandement améliorer la justice fiscale et aussi le rendement de notre fiscalité.
Clore ce débat alors que tous et tout poussent à l’ouvrir est une erreur.
Par Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE (publié le 29/03/2019)
A lire sur le site Anti-K
L’exigence de justice fiscale et de remise à plat de la fiscalité ressort comme une préoccupation première des Français mais le gouvernement cherche à fermer le débat fiscal
De l’autre, le gouvernement et la majorité cherchent plutôt à fermer ce débat, à la fois par crainte de la fatigue fiscale (les seules modifications de la fiscalité possibles seraient des baisses ou des suppressions d’impôt) et par un conservatisme assumé pour éviter de compromettre la réforme de la fiscalité du capital initiée au début du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Ajoutons à cela qu’il est difficile de procéder par référendum ou sondage sur la fiscalité. L’équilibre s’accommode mal de l’agrégation aussi fine soit-elle des intérêts de chacun. Le consentement à l’impôt implique le contrôle démocratique et le décentrement (taxes are what we pay for a civilized society inscrit au fronton du bâtiment de l’administration fiscale fédérale des Etats-Unis). C’est donc plus la délibération et la représentation qui sont à même d’établir les contraintes que l’on impose.
Taxer plus l’héritage : nécessaire et impossible ?
La fiscalité des successions concentre ces oppositions. Comme le dossier d’Alternatives Economiques de février 2019 le rappelle, tout pousse à une hausse de l’imposition sur les héritages. Pas d’effet désincitatif, puisqu’on taxe en fin de vie ; difficile expatriation compte tenu de l’âge des décès ; montants considérables des successions (250 milliards d’euros par an) et très faible taxation (5 % des successions, autour de 12 milliards d’euros) ; grandes inégalités dans les patrimoines légués ; persistance de ces inégalités entre les générations.
Un impôt sur les successions renouvelé paraît en fait le seul moyen de réduire un peu les inégalités
Un impôt sur les successions renouvelé paraît en fait le seul moyen de réduire un peu les inégalités dans un monde où la mobilité sociale est perçue comme une promesse intenable. Pourtant, dans la plupart des pays développés, le mouvement a tendu vers moins de taxation des héritages. Et si celle-ci paraît faible en France, on aura vite fait d’avancer qu’elle y est bien plus haute que partout ailleurs en Europe, à l’exception de la Belgique.
Récemment, Terra Nova, France Stratégie mais aussi quelques membres de la majorité ou encore trois économistes proches d’Emmanuel Macron ont remis obstinément le couvert sur la nécessaire réforme de la fiscalité des successions. Mais le gouvernement et l’Elysée y opposent un refus poli, anticipant qu’une telle réforme serait largement impopulaire et difficile à conduire. L’opposition à ce que les républicains américains ont appelé la Death Tax est sans doute forte et marque la limite du consentement à l’impôt. L’affaire est d’autant plus grave que, s’il n’existe pas de trésor caché échappant à la taxation, c’est peut-être le cas pour les patrimoines transmis de génération en génération.
Une taxation pour supprimer beaucoup d’impôts
Le trésor caché est celui des plus-values – non réalisées ou réalisées – accumulées au fil des années par beaucoup de Françaises et Français, bien que concentrées chez les plus riches. Pour moitié ces plus-values sont financières, pour moitié elles sont immobilières. Pour un individu moyen, les gains de plus-values, nets de l’inflation, en moyenne depuis 20 ans, ont été de 2 500 euros par an pour les actifs financiers (soit 160 milliards d’euros par an) et de 2 400 euros pour les actifs immobiliers (soit 150 milliards d’euros par an, voir notre étude de 2012 sur ce sujet).
Le trésor caché est celui des plus-values accumulées au fil des ans concentrées chez les plus riches
Une taxation « raisonnable », à 30% – le taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) qui porte sur les revenus du capital – de ces plus-values rapporterait plus de 90 milliards d’euros. Cela permettrait d’annuler la taxation foncière (20 milliards d’euros), celle des mutations à titre onéreux (10 milliards d’euros) ainsi que les droits actuels de succession (12 milliards), voir l’IFI (autour de 1,5 milliard) et de dégager encore quelques dizaines de milliards d’euros supplémentaires au-delà de l’actuelle taxation des plus-values (mobilières 4,7 milliards d’euros) et immobilières (2,5 milliards d’euros). Il resterait encore presque 40 milliards d’euros par an.
Moderniser une fiscalité archaïque
Le but n’est pas seulement de taxer un flux de revenu qui échappe aujourd’hui à l’impôt mais surtout de moderniser une fiscalité archaïque, pénalisante et qui induit des comportements contre-productifs. La Death Tax disparaîtrait, emportant dans la tombe l’argument (un peu fallacieux) de double taxation (taxer à la mort des revenus déjà taxés).
Le but n’est pas seulement de taxer un flux de revenu qui échappe à l’impôt mais surtout de moderniser une fiscalité archaïque qui induit des comportements contre-productifs
La mobilité ne serait plus surtaxée et la propriété foncière n’entraînerait plus de grande disparité géographique. Tous les revenus tirés des actifs mobiliers et immobiliers seraient traités identiquement (taxés marginalement à 30%) sans distorsion induite par la fiscalité.
Les plus-values nettes de l’inflation peuvent être diminuées des investissements d’amélioration. Au lieu de prendre en compte l’inflation, on peut également inclure un rendement réel « normal », autour de 1 % par an pour tenir compte de la rémunération « normale » (nette d’impôt et de frais de gestion) de l’épargne – ce qui réduirait le rendement de 20 milliards. Le reste, les plus-values au-delà de l’inflation et d’un taux réel de 1% sont un enrichissement sans cause (sans travail ou sans épargne) dont il est difficile de justifier la non-imposition.
Une proposition
Particulièrement pour les plus-values immobilières, mais dans une certaine mesure pour les plus-values financières, ces plus-values sont latentes, c’est-à-dire non réalisées. Leur taxation chaque année pose des problèmes sans fin. Mais ces plus-values latentes bénéficient de régime d’exonération lié soit à la résidence principale soit à l’extinction des plus-values à la mort : au décès d’un contribuable, son patrimoine est évalué en vue de la succession. Les plus-values non réalisées de son vivant sont oubliées au moment de la transmission de son patrimoine.
La taxation des plus-values, opérée à la place de l’extinction de ces plus-values à la mort du contribuable, autoriserait une refonte ambitieuse de la fiscalité
Il suffit de revenir sur ce schéma, en se limitant aux plus-values nettes de la « taxe inflationniste » (éventuellement augmentée d’un taux réel normal) pour remplacer sainement la taxation des héritages. Un bien immobilier familial n’ayant pas connu une valorisation supérieure à l’inflation serait transmis sans aucune taxation : pas de plus-value réelle, pas de taxe sur l’héritage. L’épargne d’une vie de travail, placée sans risque à un taux réel faible ne serait pas imposée. En revanche, les plus-values d’un bien immobilier dans une zone tendue ou sur un portefeuille qui aurait capitalisé astucieusement les flux d’intérêt n’échapperaient plus à une taxation égale à celle des plus-values réalisées.
La taxation des plus-values, opérée à la place de l’extinction de ces plus-values à la mort du contribuable, autoriserait une refonte ambitieuse à la fois de l’impôt sur les successions, de la taxation du foncier, des droits de mutation. Elle achèverait la réforme de la fiscalité du capital ouverte par la suppression de l’ISF et l’introduction du PFU. En ajoutant une lutte efficace contre l’évasion fiscale, facilité par un principe de taxation simple et moderne, on pourrait grandement améliorer la justice fiscale et aussi le rendement de notre fiscalité.
Clore ce débat alors que tous et tout poussent à l’ouvrir est une erreur.
Par Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE (publié le 29/03/2019)
A lire sur le site Anti-K