18 Jan 2019
Tant les confusions et les idées préconçues sont puissantes et omniprésentes sur le capitalisme, et tant l’impact du capitalisme sur nos vies et nos sociétés est important, répondre à cette question nécessiterait bien plus qu’une page ou deux. L’exercice exige donc des « raccourcis ». Essayons d’être simples, sans tomber dans le simplisme.
Une fois oui
OUI, car techniquement, c’est possible. Dans son excellent ouvrage L’impossible capitalisme vert (La Découverte, 2012), Daniel Tanuro montre que les technologies actuelles permettraient de se passer complètement des combustibles fossiles et du nucléaire en deux générations : « le potentiel cumulé du solaire thermique, photovoltaïque et thermodynamique, du vent, de la biomasse et de la force hydraulique peut couvrir cinq à six fois les besoins mondiaux en énergie primaire. ». Il en va de même de la destruction des forêts et des autres désastres écologiques : il parfaitement possible d’y mettre fin rapidement. À l’heure où les dirigeants politiques et les populations affirment qu’il est urgentissime d’agir, pourquoi donc ce tournant écologique n’arrive pas à se concrétiser ? Le fait que la logique capitaliste reste dominante au sein de nos sociétés constituent le cœur du problème.
Douze fois non
1. Depuis le Sommet de la Terre de l’ONU en 1992, le monde entier sait que « notre maison brule ». Depuis lors, les engagements, les accords et les déclarations ambitieuses se sont multipliés. On essaye donc depuis minimum 25 ans de gérer le problème et le bilan est sans appel : non seulement le capitalisme n’est pas parvenu à freiner le changement climatique, la perte de biodiversité, la pollution de l’air, la destruction des forêts, l’artificialisation des sols, l’acidification des océans et autres joyeusetés, mais toutes ces destructions n’ont fait que s’aggraver et s’intensifier. Ajoutons que toutes les solutions mises en place par le système capitaliste (la « croissance soutenable », le développement durable, le marché du carbone, les technologies vertes comme les agrocarburants, etc.) ont abouti à des désastres ou des échecs fulgurants.
2. Toutes les crises sociales et écologiques actuelles (alimentaire, financière, économique, sociale, climatique…) ont pour cause principale la recherche du profit et de la croissance. Faut-il rappeler que les banques privées n’hésitent pas une seconde à spéculer sur les produits agricoles et provoquer des famines, du moment que cela engendre des profits ? Citons Jean-Pierre Berlan : « De la même manière, il faut revenir sur les larmes de crocodile que les médias versent sur la faim dans le monde. Parce que la logique interne de notre système de production de profits signifie qu’on se contrefout du fait que les gens crèvent de faim. Tout ça, c’est bon pour amuser les gogos, faire des émissions et taper les spectateurs au portefeuille, les émouvoir et les culpabiliser. Mais en réalité, si ça produit du profit de les faire crever de faim, on fera du profit en les affamant. C’est d’ailleurs le cas [1]. »
3. La logique capitaliste fera toujours passer le profit avant les autres impératifs. Si davantage de profit résulte de la production de routes et d’automobiles que de chemins de fers et de trains, alors les voitures seront développées au détriment des trains. Si la part des renouvelables dans la production d’énergie globale continue de stagner, la raison principale est claire : les multinationales de l’énergie (Exxon, BP, Total, etc.), c’est-à-dire les plus grands pollueurs de la planète, ne veulent pas se détourner de la poule aux œufs d’or que représente le marché des combustibles fossiles. On estime à environ 1.500 milliards de dollars les profits annuels réalisés par ce secteur. Bien sûr, des entreprises privées peuvent investir dans des secteurs « propres » de l’économie, et elles le font, mais elles ne le font pas pour sauver le climat, mais pour faire des profits, ou éventuellement pour faire du greenwashing, c’est-à-dire se faire passer pour écologiquement responsables, soit en peignant de vert ce qui ne l’est pas du tout, soit en communiquant largement sur le peu de « vert » qu’elles font, tout en dissimulant le fait que leurs activités principales restent très polluantes. Pavan Sukhdev, économiste et banquier à la Deutsche Bank en est parfaitement conscient : « Le modèle actuel est arrivé au bout de ce que nous pouvons imposer à la planète, mais mes clients n’investissent qu’avec des promesses de profit, et cela ne va pas changer. »
4. Une transition écologique digne de ce nom nécessite des investissements massifs sans rentabilité financière immédiate. Les entreprises privées capitalistes, ne s’intéressant qu’aux profits et donc à la demande solvable, sont incapables de réaliser ces investissements. Rappelons ici que la plupart des grandes inventions et des grands projets techniques et technologiques ont d’abord été le fruit de l’initiative publique. L’organisation et le développement des grands réseaux collectifs, tels que l’électricité, le rail, les transports en commun, la poste, la télédistribustion, etc., mais aussi les grands travaux d’infrastructures (ponts, écluses, barrages, hôpitaux, routes et autoroutes, etc.) n’ont pu être possibles que via une intervention active de la puissance publique. L’action publique n’est pas parfaite par nature, mais elle est bien plus capable que le privé d’avoir une vision à long terme. C’est donc tout sauf d’une logique capitaliste dont nous avons besoin.
5. Le capitalisme est ce qu’il est, à savoir un modèle de société basé sur le profit, la propriété privée des grands moyens de production, l’exploitation de l’être humain et de la nature, la croissance économique, la compétition et l’individualisme. Sa définition suffit à démontrer l’impasse qu’il constitue.
6. Selon certains, imposer au capitalisme plus de régulation serait suffisant pour résoudre les différentes crises auxquelles l’humanité doit faire face. Mais humaniser le capitalisme n’est pas possible. On peut améliorer les conditions de vie de certains groupes de population au sein du capitalisme, mais cela dépendra essentiellement des rapports de force sociaux. Mais a logique capitaliste est et restera ce qu’elle est : accumuler du capital, quelles qu’en soient les conséquences sociales ou environnementales. Mais que voulons-nous vraiment ? Améliorer à la marge quelques éléments et diminuer l’ampleur des désastres, avec la certitude que les capitalistes reviendront à la charge dès qu’ils le pourront et reprendrons tout ce qui a été concédé aux peuples été à la nature ? Éviter le pire aujourd’hui pour retomber dans une crise encore plus profonde dans quelques années ? Frank Lepage a bien exprimé cette idée : « Moraliser le capitalisme, ça veut dire ceci : vous arrivez dans la jungle, en caleçon, et vous vous retrouvez face à un tigre affamé. Et là vous lui dites : sage, kiki ! » Ajoutons un élément : au cours de la période 1945–1975 ; également appelée période des Trente Glorieuses, il existait une régulation importante du capital. Mais cette régulation était le fruit des luttes sociales (et d’une guerre qui avait montré l’implication criminelle des capitalistes dans le financement du régime nazi) et non pas d’une quelconque clairvoyance ou capacité d’évolution du système. Par ailleurs, ces trente années étaient en réalité loin d’être glorieuses, notamment parce que l’amélioration des conditions de vie d’une partie des populations du Nord s’est réalisée au détriment des travailleurs/euses du Sud et de la surexploitation de la nature.
7. La transition écologique ne pourra pas devenir une réalité si l’on ne se préoccupe pas des questions de pauvreté et d’inégalités. Or, malgré une rhétorique de lutte contre la pauvreté, le capitalisme produit et reproduit la pauvreté et les inégalités.
8. La logique capitaliste vise à tout transformer en marchandise : l’eau, la terre, les matières premières mais aussi l’éducation, la connaissance, la santé, l’art, et même l’être humain. On le sent de manière instinctive et la réalité est là pour nous le confirmer : cela mène inévitablement à des aberrations, à la destruction de la nature et à des catastrophes sociales à répétition. Or, il est fondamental de promouvoir les productions socialement utiles et écologiquement soutenable. C’est donc d’une logique non capitaliste dont nous avons besoin.
9. Bien sûr, des efforts importants peuvent et doivent être faits au niveau individuel pour participer à la lutte contre la destruction de l’environnement et le changement climatique : consommer moins et consommer équitable, trier ses déchets, prendre le train plutôt que la voiture, etc. Ces actions sont utiles et nécessaires, et il faut tout faire pour qu’elles se généralisent. Cependant, réduire l’écologie à une question de pratiques individuelles constitue une grave erreur. Les changements de comportements individuels, aussi important soient-ils, ne seront pas capables d’inverser les tendances actuelles, en particulier parce que les principaux responsables de la destruction de l’environnement, ce ne sont pas les individus mais bien les grandes entreprises capitalistes, via leurs modes de production, mais aussi via les contraintes qu’elles nous imposent en matière de consommation. Donnons un chiffre : 90 entreprises sont responsables à elles seules de plus de 63 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1850 [2].
10. Compter sur une prise de conscience des patrons des multinationales est également très naïf. N’oublions pas que, d’un point de vue d’une entreprise, toute nouvelle règlementation écologique implique un coût, et cela, elles n’aiment pas, pour le dire gentiment. Bien sûr, il existe des patrons d’entreprise qui ont une conscience écologique et sociale fortes, et qui essayent de faire tout ce qu’ils peuvent pour intégrer ces principes dans leur mode de gestion. Mais, au sein du capitalisme financier globalisé, ils n’ont pas vraiment le choix. Par ailleurs, comme dirait Michel Audiard : « Il y a des patrons de gauche. Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre. »
11. De plus en plus de personnes dénoncent le caractère intrinsèquement destructeur du capitalisme. Citons en quelques-uns. Suite à la sortie de son dernier livre, le Capitalisme expliqué à ma petite fille (en espérant qu’elle en verra la fin, (Seuil, 2018), Jean Ziegler l’affirme avec force : « Tout comme on a détruit l’esclavage et le colonialisme, le capitalisme doit être détruit ». Naomi Klein ne dit pas autre chose : « le capitalisme, en raison de sa soif inextinguible de croissance et de profits, se dresse comme un obstacle sur l’unique chemin menant à la transition rapide vers la sortie des énergies fossiles [3]. » En septembre 2018, 700 scientifiques français signent une tribune pour tirer la sonnette d’alarme sur le dérèglement climatique, et affirment que stabiliser le climat « suppose d’engager une révolution de nos modes de développement, de notre rapport collectif à l’énergie et aux ressources naturelles, à la consommation, à la mobilité, au logement, aux loisirs, etc [4]. » Le jour où il annonce sa démission sur France Inter, le 28 août 2018, Nicolas Hulot déclare : « au moment où la planète devient une étuve, cela mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle, qu’on change de paradigme. (…) On s’évertue à entretenir un modèle économique, qui est la cause de tous ces désordres. ». Ces différentes personnes sont pourtant loin d’être des « bolchéviques révolutionnaires » …
12. Le récent « Appel des 200 pour le climat », coordonné par l’actrice Juliette Binoche et l’astrophysicien Aurélien Barreau, réclamant une action politique « ferme et immédiate », est important, mais il ne doit pas passer à côté d’un constat fondamental : ce n’est ni le bon sens, ni l’intérêt général qui mènent le monde. Un État n’est pas une institution neutre qui agit de manière libre et autonome en fonction de l’intérêt général. Un État est avant tout la cristallisation des rapports de force au sein d’une société. Or aujourd’hui, ce sont les puissances économiques et financières qui détiennent le pouvoir réel. Commentant la démission de Nicolas Hulot, Jean Ziegler rappelait justement que « les oligarchies financières détiennent le pouvoir, pas le ministre de l’Écologie ». Et ces oligarchies financières ne veulent pas de cette transition car elle va à l’encontre de leurs intérêts. Au sein du capitalisme financier globalisé, il n’y a tout simplement aucune chance d’arriver à réduire les émissions de 80% à 95% d’ici 2050. Faut-il rappeler que nous ne sommes même pas arrivés à imposer une ridicule taxe de 0,01 % sur les transactions financières spéculatives ? La volonté politiqué est évidemment importante, mais elle ne peut suffire. Si l’on veut changer la situation actuelle, les peuples doivent prendre leur destin en main, s’organiser et, par l’action collective, relever le défi du changement. Aucune des grandes conquêtes sociales (abolition de l’esclavage, fin de la colonisation, sécurité sociale, droits des femmes…) n’a été obtenue grâce au seul courage politique. Elles ont toutes été le fruit de luttes populaires qui ont permis de modifier le rapport de force en faveur des populations. Du courage politique d’un côté, un mouvement social fort et autonome de l’autre : voilà les éléments qui doivent se combiner dans une relation interactive et positive.
Accepter avec simplicité la nécessité d’une révolution
Une résolution viable et efficace de la crise écologique et climatique passera nécessairement par une transformation radicale de nos sociétés et de nos modes de production et de consommation. Si l’économie de marché pourra continuer à fonctionner dans plusieurs secteurs, à côté de l’économie coopérative qui devrait également jouer un rôle prédominant, tous les biens communs de l’humanité et les secteurs stratégiques (eau, énergie, crédit, éducation, santé, transports, etc.) doivent être mis sous contrôle citoyen et gérés prioritairement en fonction de la sauvegarde des écosystèmes et la justice sociale. Cela s’appelle le socialisme. Dans tous les cas, le profit, la croissance économique, la concurrence, la compétition, l’égoïsme et la propriété privée des grands moyens de production ne peuvent plus constituer les piliers de nos sociétés humaines. Cela s’appelle une révolution.
Bien sûr, cela ne signifie absolument pas défendre les régimes tels que l’URSS de Staline, le Cambodge de Pol Pot, la Chine de Mao, ni celle d’aujourd’hui d’ailleurs. Il est clair que les expériences du 20e siècle ont échoué, mais c’est faire honte à la créativité humaine que de penser que nous ne sommes pas capables de faire mieux et autrement.
Par Olivier Bonfond (publié le 20/12/2018)
A lire sur le site du CADTM
Une fois oui
OUI, car techniquement, c’est possible. Dans son excellent ouvrage L’impossible capitalisme vert (La Découverte, 2012), Daniel Tanuro montre que les technologies actuelles permettraient de se passer complètement des combustibles fossiles et du nucléaire en deux générations : « le potentiel cumulé du solaire thermique, photovoltaïque et thermodynamique, du vent, de la biomasse et de la force hydraulique peut couvrir cinq à six fois les besoins mondiaux en énergie primaire. ». Il en va de même de la destruction des forêts et des autres désastres écologiques : il parfaitement possible d’y mettre fin rapidement. À l’heure où les dirigeants politiques et les populations affirment qu’il est urgentissime d’agir, pourquoi donc ce tournant écologique n’arrive pas à se concrétiser ? Le fait que la logique capitaliste reste dominante au sein de nos sociétés constituent le cœur du problème.
Douze fois non
1. Depuis le Sommet de la Terre de l’ONU en 1992, le monde entier sait que « notre maison brule ». Depuis lors, les engagements, les accords et les déclarations ambitieuses se sont multipliés. On essaye donc depuis minimum 25 ans de gérer le problème et le bilan est sans appel : non seulement le capitalisme n’est pas parvenu à freiner le changement climatique, la perte de biodiversité, la pollution de l’air, la destruction des forêts, l’artificialisation des sols, l’acidification des océans et autres joyeusetés, mais toutes ces destructions n’ont fait que s’aggraver et s’intensifier. Ajoutons que toutes les solutions mises en place par le système capitaliste (la « croissance soutenable », le développement durable, le marché du carbone, les technologies vertes comme les agrocarburants, etc.) ont abouti à des désastres ou des échecs fulgurants.
2. Toutes les crises sociales et écologiques actuelles (alimentaire, financière, économique, sociale, climatique…) ont pour cause principale la recherche du profit et de la croissance. Faut-il rappeler que les banques privées n’hésitent pas une seconde à spéculer sur les produits agricoles et provoquer des famines, du moment que cela engendre des profits ? Citons Jean-Pierre Berlan : « De la même manière, il faut revenir sur les larmes de crocodile que les médias versent sur la faim dans le monde. Parce que la logique interne de notre système de production de profits signifie qu’on se contrefout du fait que les gens crèvent de faim. Tout ça, c’est bon pour amuser les gogos, faire des émissions et taper les spectateurs au portefeuille, les émouvoir et les culpabiliser. Mais en réalité, si ça produit du profit de les faire crever de faim, on fera du profit en les affamant. C’est d’ailleurs le cas [1]. »
3. La logique capitaliste fera toujours passer le profit avant les autres impératifs. Si davantage de profit résulte de la production de routes et d’automobiles que de chemins de fers et de trains, alors les voitures seront développées au détriment des trains. Si la part des renouvelables dans la production d’énergie globale continue de stagner, la raison principale est claire : les multinationales de l’énergie (Exxon, BP, Total, etc.), c’est-à-dire les plus grands pollueurs de la planète, ne veulent pas se détourner de la poule aux œufs d’or que représente le marché des combustibles fossiles. On estime à environ 1.500 milliards de dollars les profits annuels réalisés par ce secteur. Bien sûr, des entreprises privées peuvent investir dans des secteurs « propres » de l’économie, et elles le font, mais elles ne le font pas pour sauver le climat, mais pour faire des profits, ou éventuellement pour faire du greenwashing, c’est-à-dire se faire passer pour écologiquement responsables, soit en peignant de vert ce qui ne l’est pas du tout, soit en communiquant largement sur le peu de « vert » qu’elles font, tout en dissimulant le fait que leurs activités principales restent très polluantes. Pavan Sukhdev, économiste et banquier à la Deutsche Bank en est parfaitement conscient : « Le modèle actuel est arrivé au bout de ce que nous pouvons imposer à la planète, mais mes clients n’investissent qu’avec des promesses de profit, et cela ne va pas changer. »
4. Une transition écologique digne de ce nom nécessite des investissements massifs sans rentabilité financière immédiate. Les entreprises privées capitalistes, ne s’intéressant qu’aux profits et donc à la demande solvable, sont incapables de réaliser ces investissements. Rappelons ici que la plupart des grandes inventions et des grands projets techniques et technologiques ont d’abord été le fruit de l’initiative publique. L’organisation et le développement des grands réseaux collectifs, tels que l’électricité, le rail, les transports en commun, la poste, la télédistribustion, etc., mais aussi les grands travaux d’infrastructures (ponts, écluses, barrages, hôpitaux, routes et autoroutes, etc.) n’ont pu être possibles que via une intervention active de la puissance publique. L’action publique n’est pas parfaite par nature, mais elle est bien plus capable que le privé d’avoir une vision à long terme. C’est donc tout sauf d’une logique capitaliste dont nous avons besoin.
5. Le capitalisme est ce qu’il est, à savoir un modèle de société basé sur le profit, la propriété privée des grands moyens de production, l’exploitation de l’être humain et de la nature, la croissance économique, la compétition et l’individualisme. Sa définition suffit à démontrer l’impasse qu’il constitue.
6. Selon certains, imposer au capitalisme plus de régulation serait suffisant pour résoudre les différentes crises auxquelles l’humanité doit faire face. Mais humaniser le capitalisme n’est pas possible. On peut améliorer les conditions de vie de certains groupes de population au sein du capitalisme, mais cela dépendra essentiellement des rapports de force sociaux. Mais a logique capitaliste est et restera ce qu’elle est : accumuler du capital, quelles qu’en soient les conséquences sociales ou environnementales. Mais que voulons-nous vraiment ? Améliorer à la marge quelques éléments et diminuer l’ampleur des désastres, avec la certitude que les capitalistes reviendront à la charge dès qu’ils le pourront et reprendrons tout ce qui a été concédé aux peuples été à la nature ? Éviter le pire aujourd’hui pour retomber dans une crise encore plus profonde dans quelques années ? Frank Lepage a bien exprimé cette idée : « Moraliser le capitalisme, ça veut dire ceci : vous arrivez dans la jungle, en caleçon, et vous vous retrouvez face à un tigre affamé. Et là vous lui dites : sage, kiki ! » Ajoutons un élément : au cours de la période 1945–1975 ; également appelée période des Trente Glorieuses, il existait une régulation importante du capital. Mais cette régulation était le fruit des luttes sociales (et d’une guerre qui avait montré l’implication criminelle des capitalistes dans le financement du régime nazi) et non pas d’une quelconque clairvoyance ou capacité d’évolution du système. Par ailleurs, ces trente années étaient en réalité loin d’être glorieuses, notamment parce que l’amélioration des conditions de vie d’une partie des populations du Nord s’est réalisée au détriment des travailleurs/euses du Sud et de la surexploitation de la nature.
7. La transition écologique ne pourra pas devenir une réalité si l’on ne se préoccupe pas des questions de pauvreté et d’inégalités. Or, malgré une rhétorique de lutte contre la pauvreté, le capitalisme produit et reproduit la pauvreté et les inégalités.
8. La logique capitaliste vise à tout transformer en marchandise : l’eau, la terre, les matières premières mais aussi l’éducation, la connaissance, la santé, l’art, et même l’être humain. On le sent de manière instinctive et la réalité est là pour nous le confirmer : cela mène inévitablement à des aberrations, à la destruction de la nature et à des catastrophes sociales à répétition. Or, il est fondamental de promouvoir les productions socialement utiles et écologiquement soutenable. C’est donc d’une logique non capitaliste dont nous avons besoin.
9. Bien sûr, des efforts importants peuvent et doivent être faits au niveau individuel pour participer à la lutte contre la destruction de l’environnement et le changement climatique : consommer moins et consommer équitable, trier ses déchets, prendre le train plutôt que la voiture, etc. Ces actions sont utiles et nécessaires, et il faut tout faire pour qu’elles se généralisent. Cependant, réduire l’écologie à une question de pratiques individuelles constitue une grave erreur. Les changements de comportements individuels, aussi important soient-ils, ne seront pas capables d’inverser les tendances actuelles, en particulier parce que les principaux responsables de la destruction de l’environnement, ce ne sont pas les individus mais bien les grandes entreprises capitalistes, via leurs modes de production, mais aussi via les contraintes qu’elles nous imposent en matière de consommation. Donnons un chiffre : 90 entreprises sont responsables à elles seules de plus de 63 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1850 [2].
10. Compter sur une prise de conscience des patrons des multinationales est également très naïf. N’oublions pas que, d’un point de vue d’une entreprise, toute nouvelle règlementation écologique implique un coût, et cela, elles n’aiment pas, pour le dire gentiment. Bien sûr, il existe des patrons d’entreprise qui ont une conscience écologique et sociale fortes, et qui essayent de faire tout ce qu’ils peuvent pour intégrer ces principes dans leur mode de gestion. Mais, au sein du capitalisme financier globalisé, ils n’ont pas vraiment le choix. Par ailleurs, comme dirait Michel Audiard : « Il y a des patrons de gauche. Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre. »
11. De plus en plus de personnes dénoncent le caractère intrinsèquement destructeur du capitalisme. Citons en quelques-uns. Suite à la sortie de son dernier livre, le Capitalisme expliqué à ma petite fille (en espérant qu’elle en verra la fin, (Seuil, 2018), Jean Ziegler l’affirme avec force : « Tout comme on a détruit l’esclavage et le colonialisme, le capitalisme doit être détruit ». Naomi Klein ne dit pas autre chose : « le capitalisme, en raison de sa soif inextinguible de croissance et de profits, se dresse comme un obstacle sur l’unique chemin menant à la transition rapide vers la sortie des énergies fossiles [3]. » En septembre 2018, 700 scientifiques français signent une tribune pour tirer la sonnette d’alarme sur le dérèglement climatique, et affirment que stabiliser le climat « suppose d’engager une révolution de nos modes de développement, de notre rapport collectif à l’énergie et aux ressources naturelles, à la consommation, à la mobilité, au logement, aux loisirs, etc [4]. » Le jour où il annonce sa démission sur France Inter, le 28 août 2018, Nicolas Hulot déclare : « au moment où la planète devient une étuve, cela mérite qu’on se retrouve et qu’on change d’échelle, qu’on change de paradigme. (…) On s’évertue à entretenir un modèle économique, qui est la cause de tous ces désordres. ». Ces différentes personnes sont pourtant loin d’être des « bolchéviques révolutionnaires » …
12. Le récent « Appel des 200 pour le climat », coordonné par l’actrice Juliette Binoche et l’astrophysicien Aurélien Barreau, réclamant une action politique « ferme et immédiate », est important, mais il ne doit pas passer à côté d’un constat fondamental : ce n’est ni le bon sens, ni l’intérêt général qui mènent le monde. Un État n’est pas une institution neutre qui agit de manière libre et autonome en fonction de l’intérêt général. Un État est avant tout la cristallisation des rapports de force au sein d’une société. Or aujourd’hui, ce sont les puissances économiques et financières qui détiennent le pouvoir réel. Commentant la démission de Nicolas Hulot, Jean Ziegler rappelait justement que « les oligarchies financières détiennent le pouvoir, pas le ministre de l’Écologie ». Et ces oligarchies financières ne veulent pas de cette transition car elle va à l’encontre de leurs intérêts. Au sein du capitalisme financier globalisé, il n’y a tout simplement aucune chance d’arriver à réduire les émissions de 80% à 95% d’ici 2050. Faut-il rappeler que nous ne sommes même pas arrivés à imposer une ridicule taxe de 0,01 % sur les transactions financières spéculatives ? La volonté politiqué est évidemment importante, mais elle ne peut suffire. Si l’on veut changer la situation actuelle, les peuples doivent prendre leur destin en main, s’organiser et, par l’action collective, relever le défi du changement. Aucune des grandes conquêtes sociales (abolition de l’esclavage, fin de la colonisation, sécurité sociale, droits des femmes…) n’a été obtenue grâce au seul courage politique. Elles ont toutes été le fruit de luttes populaires qui ont permis de modifier le rapport de force en faveur des populations. Du courage politique d’un côté, un mouvement social fort et autonome de l’autre : voilà les éléments qui doivent se combiner dans une relation interactive et positive.
Accepter avec simplicité la nécessité d’une révolution
Une résolution viable et efficace de la crise écologique et climatique passera nécessairement par une transformation radicale de nos sociétés et de nos modes de production et de consommation. Si l’économie de marché pourra continuer à fonctionner dans plusieurs secteurs, à côté de l’économie coopérative qui devrait également jouer un rôle prédominant, tous les biens communs de l’humanité et les secteurs stratégiques (eau, énergie, crédit, éducation, santé, transports, etc.) doivent être mis sous contrôle citoyen et gérés prioritairement en fonction de la sauvegarde des écosystèmes et la justice sociale. Cela s’appelle le socialisme. Dans tous les cas, le profit, la croissance économique, la concurrence, la compétition, l’égoïsme et la propriété privée des grands moyens de production ne peuvent plus constituer les piliers de nos sociétés humaines. Cela s’appelle une révolution.
Bien sûr, cela ne signifie absolument pas défendre les régimes tels que l’URSS de Staline, le Cambodge de Pol Pot, la Chine de Mao, ni celle d’aujourd’hui d’ailleurs. Il est clair que les expériences du 20e siècle ont échoué, mais c’est faire honte à la créativité humaine que de penser que nous ne sommes pas capables de faire mieux et autrement.
Par Olivier Bonfond (publié le 20/12/2018)
A lire sur le site du CADTM